Fin de lune 141: Le cadeau de Ganesh

Shankar a les mains qui tremblent quand il comprend.

Je... Je retiens le best... Le dieu, hai, hai ! Allez vite aider ma soni ! VITE !!

Il a forcément un peu de mal à gérer, mais c'est avec la joie de deux cent hommes qu'il fait descendre le dieu vers les flots à une vitesse raisonnable.

Ganapati bappa morya ! Mangal murti morya !

Même si il est déjà en train d'être exaucé, quelque part.

Ravie de l'initiative de Kristal, à peine remise, elle donne quelques instructions sur un ton très doux à l'adolescente.

"Du linge propre, de l'encens pour purifier la cabane, une bonne flambée pour la chauffer, de l'eau fraiche pour son visage, de l'eau chaude pour laver le bébé, du Khol pour le protéger, tous les idoles que vous trouverez pour prier... Oh et un bracelet noir pour Amiya ! Nous avons oublié ça !"

"... Et... du thé et de quoi grignoter."

"Si on compte un centimètre par heure, et qu'il faut 10 centimètres pour que le col laisse passer ce petit être... Il va falloir beaucoup de thé..."

"Et une bonne dose de courage... "

Puis, proposant son bras à Amiya pour entrer dans la cabane. Si sereine en effet, qu'elle est sûrement chanvrée. Ou un excès de méditation...

"Il est en avance. Il peut donc arriver plus vite et ce sera moins douloureux...! C'est vraiment une belle journée !"

L'indienne jette un drôle de regard à sa sœur. Elle, ça la rassure pas du tout cette avance. Elle prend néanmoins les bras qu'on lui tend et suit docilement, essayant de garder son calme. Direction sa chambre.

"Romy...ne doit pas savoir...d'accord? Ne lui dîtes rien. Je vais être discrète..."

Shankar emboite le pas. Constat réaliste. Et n'étant pas un dieu Hindou qui veut, deux bras en plus ne feront certes pas de mal.

Par réflexe, comme si il avait répété ça dans sa tête toutes les dernières lunes, il s'active déjà prêt de la cheminée, alternant entre remplir des récipients de plusieurs litres d'eau à oxygéner le feu et le laisser prendre. Vu les températures, autant lancer ça en priorité.

Pour le reste, par contre, aucune idée. Kristal devra mener les hostilités.

Lalita est ravie. Une fille, oui, une nouvelle fille pour sa famille. Il n'y a jamais assez de filles. Une revanche pour toutes celles noyées ou abandonnées ! Elle les regarde s'affairer d'ailleurs, les filles, les grandes déjà nées, et même plus, puisqu'elles ont survécu à la colère des Dieux.

Enfin, elle se tourne vers Amiya, l'observe, arrange ses cheveux. Elle est belle. Sa nouvelle fille sera heureuse de la voir ainsi.

"Kristal et Ajeya, si vous voulez, vous pourrez dessiner sur les mains de Amiya... Et sur ses pieds... Cela protègera le bébé et sa mère."

Oui, on est jamais trop prudent.
Puis plus bas pour la douloureuse.

"Tu ne devrais pas priver Romy de ce moment. Car aujourd'hui, elle souffre horriblement, mais quand demain, elle aura appris à vivre avec sa peine, elle regrettera peut être de ne pas avoir pu être avec toi dans ce moment si unique... Le choix te revient... "

"Sache juste que je n'ai jamais accouché aucune femme. Seule Romy a pu le faire pour Nola... Je n'ai pu que lire les ouvrages dédiés à obstétrie dans la bibliothèque de Vertigo. Ne te trompe pas, Amiya, je me sens prête. Bien prête. Mais si le cours de l'accouchement devient incertain, je ne ferai pas de manière pour demander l'aide de Romy..."

Enfin, Lalita se met dans le dos de sa Soeur, et pose ses mains sur ses reins pour doucement les masser.

"Reste debout, ou assied-toi... Le col doit s'ouvrir et ce sera long. Parfois, en restant assis, c'est moins douloureux. Il n'y a que toi qui peut savoir dans quelle position le travail sera le moins difficile à supporter..."

Shankar note la main et le papa, l'air surpris, mais la soirée s'annonce comme résolument trop chaotique pour relever ça pour l'instant. La première marmite est sur le feu. Que faire ? Ou aller ? Quoi prendre ?
Dans sa tête, des images de doudou, biberons, berceau, lait en poudre et tétines se bousculent. Non, il faut oublier le plan. Agir pour l'immédiat.

Euh... L'encens... Il doit être là.

Il désigne, par la porte entrouverte, la grande valise d'Amiya. Comprenant instantanément sa connerie, il prend les devants pour la fouiller lui même. Au passage, il balance une diversion.

Tu as euh... Un bracelet noir ?

Papa, il va l'être. Alors le titre ne le choque pas plus que ça.
Shankar fronce les sourcils tandis que du sac jaillissent photos et bijoux familiaux.

Pour Amiya Amilhthini Singh, hai ! C'est dans ta liste, tu as oublié ?
C'est important d'avoir la chance de notre côté, même si les auspices n'auraient pu être meilleurs.

Il joint rapidement les mains au dessus de la tête pour saluer Ganapati Bappa et reprend ses fouilles. Il referme sommairement la porte, une poignée de connes en mains.

Patchouli... J'espère que ça ne la fera pas vomir... Je me suis appliqué sur le dîner ce soir.

Il se prépare à revenir dans la cuisine et intercepte Kristal.

Que t'a t'elle demandé ? La liste ?

Les décisions de Amiya semblent remplir de joie Lalita, qui devient plus enthousiaste.

"Oh... Tu ne seras pas seule. Il viendra, et si tu veux... Tout le monde peut venir pendant ton travail. Il n'y a rien de choquant... Au contraire, c'est un moment merveilleux, où la nature reprend ses droits ! On ne contrôle plus rien, on laisse faire ton corps, ton bébé... "

"On pourrait même faire la fête tout autour de toi."

"Et puis... lorsque le bébé sera prêt à sortir vraiment. Il suffira de demander à tout le monde de partir, sauf tes proches... Et même là, je pense qu'il vaut mieux que je suis la seule devant toi. Les autres resteront à tes cotés, au niveau de tes mains..."

Tout en parlant, elle montre comment chacun pourra prendre position.

"C'est comme tu veux Amiya."

Shankar se fige, l'air contrarié, au fur et à mesure de son discours. Purée, quelle capacité de concentration ! Voilà qu'il dépile de l'urgence, tiens !

Si elle avait eu un flingue, j'aurais dit la même chose avec le mien dans la main, hai !

Je conspue moins les morts que les vivants et leurs actes, dont celui qui l'a sauvée. Je sais qui elle est. Je l'ai rencontrée, sous terre, avant même de rencontrer Amiya, Ajeya, et tous les autres. Elle, et un homme, Karl Bunker. Ils ont trouvé refuge dans un sanctuaire que j'ai monté dans les souterrains, pour y honorer les morts. Alors que je donnais le dernier repos à ceux qui le réclamaient, elle découpait leurs corps pour en faire des rations. Je lui ai donné ma nourriture pour qu'elle cesse, elle l'a mise dans son sac et a continué. Ce n'était que le premier de ses méfaits. Elle est partie ensuite sans adieux.

Ce n'est pas un monstre. C'est une simple femme, qui ne pense qu'à elle. Qui juge tout le monde, et moi le premier, et me reproche ensuite de le faire alors que j'agis pour sauver ceux que je peux.

Amiya ne connait pas la vraie nature de son amie. Et je ne la lui révèlerai pas, car je ne veux pas lui arracher ce qu'elle chérit. Tout n'est qu'illusion, maya, y compris beaucoup de rapports humains. La révélation lui viendra en temps voulu.

Mais moi, respecter Romy, non. Pas tant qu'elle agira ainsi. J'ai pris sur moi plus de deux ans, dans la politesse et même la compassion parfois, tout ça pour assister à cet ultime affront l'autre soir.
Plus d'hypocrisie désormais, hai !

Et voilà. Il a terminé, c'est bon. Petit blanc, il a l'air de chercher ses mots. Balance un regard soupçonneux à l'ado, cherchant d'un oeil à l'autre, à vérifier la taille de ses pupilles, et encore plus perplexe, recule et demande, un peu perdu :

Je dois préparer quoi, déjà ?

Lalita l'enserre dans ses bras, comme peut être ne l'a-t-elle encore jamais fait. En cet instant, elle aimerait simplement prendre sa tristesse, la soulager de ce poids pour qu'enfin, elle soit toute à son accouchement, toute à la venue du petit être.

"Nous ne parlons plus. Parles moi maintenant si tu le veux, soulage-toi, je te dirais les mots qu'il faut pour que tu laisses un peu aux autres leur part de responsabilité dans leurs propres actes et leurs propres paroles, pour que tu lâches doucement prise et que tu sois heureuse de qui est en train d'arriver ici et maintenant."

"Demain, il sera encore temps de régler les mésententes... Demain, ce sera très bien pour ça. Mais là... Juste là, maintenant, en toi, le miracle du monde se joue entre tes reins. Si tu n'es pas concentrée sur ton Swadhistana... J'ai peur que tu te causes de longues souffrances. Reviens dans ton corps... "

"Demain, tu pourras toujours accepter les êtres humains tels qu'ils sont, ou tout mettre en oeuvre pour améliorer leur Karma... Demain."

"Je t'aime Amiya, en entier. Tes échecs ou ceux des autres ne sont que de nouvelles chances pour s'améliorer..."

"Je t'écoute... Parle-moi, et quand tu auras laissé sortir ta peine, nous ferons la fête..."

Lalita sourit devant la détermination de sa soeur en cet instant. Après tout, le Dharma du bébé est en jeu... Elle espère que l'argument fera mouche.

"Je vais voir où ils en sont..."

Un clin d'oeil pour Amiya, avant de sortir de la chambre pour rejoindre les aide-soignantes. Elle ne semble pas faire cas des mines de Kristal et Shankar. Tout va bien, n'est-ce pas ?

"Vous avez pu trouver ce qu'il fallait ? Amiya souhaite que nous fassions une belle fête pour l'arrivée du bébé. Il va falloir faire un effort pour envoyer de bonnes ondes à ce bébé et mettre ses rancoeurs de coté. Du moins pour cette nuit."

Puis, son regard se tourne vers Shankar. On ne peut pas dire qu'elle réussit vraiment à soutenir son regard, mais elle ne se démonte pas.

"Romy sera là, si elle le souhaite. Notre amie a aidé Nola a accouché des jumeaux de Vertigo, elle nous sera d'une grande aide."

Enfin, elle prend doucement la main de Kristal, puis s'incline devant eux, le bout de ses doigts sur le bindi du rituel.

"Alors... Préparez toutes vos bonnes ondes... je vous en prie..."

"...Merci.."

"Vous pourrez rejoindre Amiya quand vous vous sentirez prêts. Je vais parler à Romy."

Shankar se fige à nouveau, puis décoche un regard à Kristal.

Haan... Je vais m'occuper un peu de l'eau avant. Et je viendrai.

Si ça doit être fait sincèrement, ça ne peut pas être fait immédiatement. Et inutile de dire qu'il y croit furieusement à ces machins.