L70 - La lune rouge

L'échelle menant aux combles du Mojo Hotel grince à nouveau pour annoncer l'arrivée de Mukunda. Un bref coup à la porte, il entre sans attendre dans la chambre dénudée et dans une quasi pénombre,  la Raji et ses bagages sont retirées dans un coin, comme un meuble emballé qu'onna oublié de déménager.
Il se tient un instant sur le pas de la porte, joint les mains.

"Namaste Amiya. Je peux entrer ?

La question n'est pas posée, tout dans la chambre indique que le Guru a raison. Les craquements du plancher accompagnent ses pas jusqu'à la fenetre, les Oms et leurs invités prolongent le repas, les bribes de conversation meublent le silence de la pièce.. Le regard du sadhu se perd dans la nuit sombre, sa voix résonne à nouveau dans la pièce.

"Tu savais Raji qu'à l'origine il y avait deux lunes ? Du temps des premiers brahmanes.
Là" * il désigne la nuit à travers la fenetre*   "elle devrait se trouver là."

Il se retourne vers la Raji, les lèvres en suspens figées en un sourire sous sa barbe menaçante.

"La lune rouge..."

Quand le sadhu s'invite, Amiya se redresse, mais ne quitte pas le sol où elle s'était couchée lors du départ de Lalita. Elle comprend que la chambre va se transformer en scène et que tous les acteurs des Oms, ou ceux qui se sentent concernés, feront leur entrée. Elle observe, écoute, regarde le ciel.

"Non, je ne savais pas. Pour moi, la lune a toujours été le char de Chandra, le dieu aux multiples conquêtes amoureuses. Raconte moi ce conte."

A nouveau en tailleur, elle baisse les yeux sur le parquet grinçant. Lui, malgré sa crasse persistante et ses défauts qu'elle n'a pas réussi à éliminer, est plus facile à fixer que les yeux de ceux avec qui elle vit depuis déjà des mois.

"Un conte ? Pas exactement."

Il s'assit à son tour sur le parquet, dépose son kapala, se racle la gorge. Dans son esprit embrumé, contes et légendes se confondent avec ses aventures réelles et vécues. Et l'histoire qu'il a entendu de Ténébro et qu'il s'est remémoré pendant le trajet s'en trouve modifiée par les premiers mots de la Raji.

"C'est pour donner une leçon à Chandra, coureur de jupons notoire et vantard, qu'Indra créa une Apsara. La nymphe  fut conçue non pas dans l'océan de lait mais découpée dans la chevelure d''Agni le dieu soleil. Le plan d'Indra était diabolique, sous sa chevelure rousse et sa peau d'abricot elle était d'une beauté à couper le souffle, elle courrait nue autour de la terre, les voiles qu'elle se confectionnait s'enflammaient au moindre contact de ses cheveux, et il en fut de même du coeur de Chandra. Mais il avait beau lancé son  char a pleine vitesse, la lune rouge tournait sur un autre plan autour de la terre, et  lui échappait constamment, sous les moqueries d'Indra.


Mais laissons la leur amour contrarié. Si les hommes ont d'abord été surpris et horrifiés par la présence du nouvel astre, le charme, la grace, la trainée de sa chevelure dans la nuit a fini par éblouir une partie d'entre eux. Elle est devenue la muse des Gandharvas, des musiciens, des danseuses. Et quand la lune rouge s'élevait au crépuscule, ses adorateurs se réveillaient pour l'honorer et danser jusqu'au bout de la nuit. Le culte ne laissait pas indemne, l'astre brulait le regard de ses adorateurs de sa beauté éclatante et irradiante. Ses adorateurs se reconnaissaient  à leurs yeux rouges et leurs cheveux blancs et ils étaient toujours plus nombreux, à communier et voir danser les longs filaments de la lune rouge."

Il marque une pause. La flamme de la bougie vacille sous un courant d'air, les visages se floutent dans la pénombre. La voix reprend plus grave, il est déja l'heure de la chute.


"Puis les hommes oublient, les cultes se perdent et avec eux leurs Dieux. Ou bien est-ce le contraire. Le culte a continué, les hommes et femmes ont continué de danser, même les soirs de nouvelle lune ou elle disparaissait. Est ce qu'il l'adoraient moins pour autant ? C'est ce qu'elle a du penser. Et sans que personne ne s'en rende vraiment compte, la lune rouge s'est mise à tourner de plus en plus loin, jusqu'à n'être plus qu'un point dans le ciel, à peine plus brillante qu'une étoile avant de  disparaitre. Peut être qu'elle n'était pas partie de son fait, et qu'un dieu ulcéré que les hommes vénèrent la fausse lune, l'avait expulsée dans l'espace d'une chiquenaude, Chandra lui-même ou une de ses conquêtes délaissée et jalouse.

Le départ de la lune rouge sonna le glas du peuple albinos. La malédiction ne s'est pas effacée, et lorsque nait encore un de leurs enfants il est persécuté à travers le monde.  La lune rouge elle aussi hante encore le ciel, elle revient tous les cent cinquante ans froler la terre et Chandra, et on raconte que même de jour sa chevelure longue de centaines de kilomètre aveugle ceux qui l'observent. Avant de plonger à nouveau dans le vide sombre et glacé.  Mais qui sait si elle n'y croise pas d'autres soleils ou on danse encore à sa gloire. "

Une belle histoire, qui l'aurait sans doute bercée quand elle était enfant. Les yeux de la femme se lèvent du sol et contemplent Mukunda, un moment, alors qu'elle réfléchit au récit.

"Chaque récit de l’hindouisme est écrit pour enseigner et transmettre à l'homme. Selon toi, quelle leçon doit être tirée de celui-ci? Quel message veux-tu me faire passer? Car j'ai bien ma propre interprétation, mais je ne suis pas sûre qu'elle soit la même que toi. C'est le problème des contes, chacun en tire sa morale."

Elle soupire, les yeux à nouveau baissés.

"Pour moi, le rouge est ma couleur. Car c'est ce que toi, ou Ténébro peut-être, a annoncé un jour. Je serais donc la lune rouge, qui part loin de la terre et qui hante son peuple? Mais regarde le ciel et le monde. Il ne reste qu'une lune et il tourne encore."

"Comme tu le dis, il y a peut-être un ailleurs où cette femme a sa place. Comme tu le dis, son peuple l'a oublié ou est mort depuis, mais cette légende est bien vieille. Alors est-ce le choix qui m'est proposé? L'oubli, la mort un jour, et la distance? Ou les fêtes, les danses et les rites? Mais la question se pose-t-elle encore?"

"Je n'ai pas dansé depuis mon mariage. Je n'ai fêté aucun heureux événement depuis. Les rites, suite aux dernières épreuves, ont été mis de côté aussi et Ganesh a dû se vexer. Alors ne suis-je déjà pas en train de tourner loin de vous? Comment revenir, après cette course folle? Et pourquoi le faire, puisque le monde tournera toujours? Une lune suffit à éclairer les nuits les plus sombres. La lumière de mon époux suffira. Vous n'avez pas besoin de moi ici."

Le regard rivé sur la jeune femme pendant qu'il la questionne, alors qu'elle semble sonder le parquet.

"Il n'y pas de réponses pour soi dans les histoires, seulement des questions. Ni de morale, si tu en cherche une demande au fils des chrétiens de te raconter un de ces versets.
Dans notre histoire la lune rouge fait partie d'un tout. Son arrivée est du a une blague de potache, son amour aussi. Et pourtant elle parvient à donner un sens à son existence, et à celui de son peuple.

Qu'est ce qui l'empêche soudainement de continuer à danser, à danser avec son peuple ? L'ombre de la vraie lune, l'égoisme de son peuple, la jalousie, l'appel des soleils factices... Des barrières invisibles qui se dressent et qu'elle dresse."

Il marque une pause, il ne vient avec aucune réponse. Tout simplement parce que les questions sont Maya, illusion.

"Il y a un dernier point à savoir. A la disparition de la lune rouge, les hommes découvrent à nouveau avec stupeur les ténébres. Le char de Chandra a beau galopé mené par ses dix destriers, il lui arrive d'être piégé dans l'ombre et ne pas réapparaitre de la nuit.  Et profitant de l'obscurité totale, Nirrti et sa horde de démons déferle à nouveau sur la terre, et comploter les plus grands désastres."

Il semble que le mot Nirrti la fasse réagir. Pas en bien.

"Je vais y réfléchir, j'ai entendu ce que tu m'as dit et je vais chercher mes propres réponses. Je les cherche déjà. Mais ne me parle pas de démons, il est très rare d'en trouver sur terre. Souvent, il ne s'agit que de l'homme sous ses plus mauvais aspects. Il faut l'accepter, car nous en avons tous. Il faut apprendre à les maitriser, à défaut de pouvoir les détruire. Car c'est en cela que nous nous élèverons au dessus des autres."

"Mais c'est un autre débat et il n'est pas l'heure. Quand viendra mon époux? Je me lasse de l'attendre."

"Ils sont plus nombreux que tu ne le crois. Nous en avons déja croisés deux, les cités fantomes sont une bénédiction pour eux.  Ils se montreront bientot, des hordes complètes..."

A défaut de la convaincre, il l'a fait réagir, prête à se battre à nouveau ? Il le saura bientot.

"Le Guru finit de manger avec ses invités. Il lui serait impoli de quitter la table, tu auras peut être d'autres visites d'ici là, ne sois pas si pressée de prendre ta décision."

Il se redresse, embarque Tenebro, sifflote en partant.

"tonight, they come for me...
They are coming
they are coming to get you..."

Isran venait directement voir Amiya, sans passer saluer le groupe qui avait commencé un repas. Atteignant la porte encore ouverte, il ne la franchit pas, s'asseyant en tailleur sur le seuil.

"Même si, de nous deux c'est moi qui suis venu te voir, je ne suis pas sûr d'être celui qui as le plus a dire. Mais si tu préfères que je te présente d'abord ce que je pense, alors nous ferons ainsi, je te laisse le choix."

Elle sursaute et se retourne, arrachée à sa contemplation. Ses yeux noirs s'ouvrent de surprise.

"Isran?"

Elle l'observe, lui qui reste sur le seuil et se fend d'un sourire triste.

"Tu n'entres pas. Je sais que je t'en ai fait voir de toutes les couleurs, mais suis-je devenue à ce point effrayante à tes yeux?"

Elle soupire.

"Dis moi ce que tu penses, je t'écoute et promis, je ne te ferais rien. J'ai suffisamment dit et répété ce que j'avais à dire."

Sur le visage d'Isran éclot un sourire, un vrai sourire, franc et chaleureux.

Si tu étais effrayante, ou si j'avais peur que tu fasses quelque chose, ce n'est pas dans la pièce que je ne serais pas rentré, je ne serais simplement pas venu te voir Amiya.

Non, si je ne suis pas rentré, c'est uniquement  parce que je ne compte pas envahir ce lieu que je considère tien.

Puisque tu préfères que je parles alors soit. Après la mort de Carry, si je ne suis pas venu te voir, c'est parce que pour moi l'affaire était déjà réglé. Je n'avais rien de plus a te reprocher que ce que je t'avais déjà dis, et il ne me semble pas t'avoir fuis après ça.

J'espère qu'avec cela de dit, il n'y a plus de malentendu a ce sujet.

Après ces mots, il reste muet, les yeux rivés dans ceux d'Amiya.

Yeux qu'Amiya baisse aussitôt. Dehors, ça continue de chanter. Elle hésite un instant, jette un oeil à son mari qui s'égosille plus fort et plus faux, puis ferme la fenêtre pour s'approcher d'Isran et s'assoir en tailleur face à lui.

"Tu ne m'as pas fuis, mais tu n'es pas venu me voir non plus. Parfois, ta solitude peut être mal interpretée tu sais. D'autant que tu as toutes les raisons de m'en vouloir. J'ai abusé de ta confiance, même si je ne pensais pas à mal. A ta place, je t'en aurais voulu. Surtout que toi, tu n'as jamais abusé de la mienne."

Visiblement, elle ne se souvient pas de l'avoir croisé dans son sommeil, ni de lui avoir avoué des tas de choses en le prenant pour un autre...

"Mais admettons, tu ne m'en veux pas. J'en suis heureuse. C'est dommage que tu ne me l'ai pas dit plus tôt."

Elle lève enfin les yeux pour le regarder.

"As-tu...d'autres pensées à me communiquer? Je t'entends toujours si peu. Pourtant, je suis certaine que tu as beaucoup à dire. Et que comme moi, tu te retiens trop. Je ne veux pas que tu craques comme je le fais, car mon mari aura besoin de toi. Tu es celui qui as le plus les pieds sur terre ici, il aura besoin que tu le ramènes à la réalité."

Ayant finalement capté le regard de l'Indienne, Isran continue de la regarder, au lieu de perdre son regard dans la pièce ou même de le laisser s'aventurer plus loin encore.

"Au moins deux en fait. Je garde une question pour quand je te laisserai. Quant au premier sujet, c'est celui que j'aborde avec tout ceux que je risque de ne plus revoir, du moins ceux que j'apprécie.. Que leur départ sois certain ou non, ou le mien d'ailleurs.

C'est une sorte de cadeau d'adieu. Car non je ne tenterai pas activement de te convaincre de rester, si ta décision change suite a ce que je peux dire alors ainsi soit-il, mais ce qui est important, c'est que la décision soit tienne."

Un sourire las fend ses lèvres.

"Ce cadeau est de la même nature que la plupart de mes échanges, de l'information. Mais celle-ci est gratuite, et te concerne uniquement toi.

Les premiers moments, c'est toi qui m'as guidé vers votre groupe, simplement avec quelques signes. Ainsi finissait de se constituer le groupe de départ. Shankar, Mukunda, Ajeya, Lalita, Hebinuma, toi, et moi. Puis est venu Carry, quand le lézard a disparu dans les profondeurs des souterrains avec nos provisions.
Dehors nous avons rencontré Gina, puis Gras Double, maintenant Janum. A Vertigo, nouvelles rencontres, nouveau départ. Hier nous perdions Carry et rencontrions la Mascarade, aujourd'hui une nouvelle escale, et nous faisons la connaissances d'autres individus, avec leur histoire, leur croyances.
La Nouvelle Inde a été mis plus d'une fois en danger, et aujourd'hui, il semblerait qu'une de ses pierres angulaires s'en aillent. Peut-être pour en inviter une autre a prendre la place, qui sait de quoi est composé le futur.
Quoi qu'il en soit, pour moi, tu as été mon guide spirituel, mais aujourd'hui, c'est moi qui t'invite a réfléchir. Je pense qu'il faut que tu réfléchisses à la place que tu as eu ici, afin de pouvoir partir l'esprit calme."

Son regard parcourt enfin la pièce, mais n'est pas fixé sur les murs mais plus loin, comme cherchant a englober le monde.

"Le monde est vaste et qui sait ce que tu y trouveras, il ne me reste que quelques mots a dire, mais je souhaite les garder pour la fin, a moins qu'il y est un sujet dont tu voudrais discuter."

Plus elle écoute, plus elle semble déstabilisée. Pourtant, il ne dit rien de particulier. Pas de conte, pas de mots, pas d'évocations de liens particuliers. Si ce n'est celui du maitre à l'apprenti, car c'est ce qu'elle aurait voulu, lui enseigner tout ce qu'elle savait. Et que lui seul s'était montré réceptif à son enseignement. Le secret du cheval du vent.

"Je sais quelle place j'ai eu ici, hier. Je me demande encore celle que j'aurais demain. Mais je voudrais savoir...t'es tu entrainé comme je te l'avais suggéré? As-tu compris qu'elle était ta force Isran? Je t'ai donné les clés, à Vertigo, pour que tu réalises de grandes choses. J'aimerais aujourd'hui savoir si cela a porté ses fruits. Si tu es enfin capable de faire ce que les autres ne réussiront jamais. J'aimerais te voir faire quelque chose d'extraordinaire. Je sais que là, tout de suite, dans cette chambre, c'est difficile. Et pourtant. Montre moi que ton apprentissage est terminé. Je ne partirais pas tranquille sinon."

Isran baisse les yeux au sol cette fois, l'air un peu gêné.

"Terminé ? Plus j'en découvre et plus j'ai l'impression de ne rien savoir. Je doute de voir de si tôt la fin de ce chemin sur lequel tu m'as aidé a m'engager. Mais soit, je veux bien te montre le peu que j'en ai compris."

Il ferme les yeux comme pour se concentrer, puis un changement presque imperceptible survient dans l'air, comme un faible changement de pression que seul l'oreille parviendrait a capter.

"Je devrais jouer plus finement si je veux vraiment avoir quelque chose à montrer.[/i]

Il fronce alors un peu les sourcils, et un vent léger se créer progressivement, suivant un chemin qui ne peux passer pour naturel, et se fait sentir avec différentes intensités sur les peaux, vêtements et les quelques tissus dans la pièce.

"J'ai l'impression de ne pas vraiment avoir emprunté le chemin que tu voulais me montrer, mais un même maître guidant un millier de disciple les fera parcourir un millier de chemins différents. Je pense qu'au final tout ses chemins mènent a la même chose, et que ce que je fais n'est qu'une application légèrement différente de celle que tu prévoyais, mais peut être que je me trompe...
Bien sûr avancer avec un guide a été beaucoup plus efficace que si j'avais du chercher par moi-même, qui sait si j'aurais même trouvé quelque chose. Je t'en remercie."

Ses cheveux se dressent, pourtant le vent ne s'est pas engouffré par la fenêtre. Son voile, jeté négligemment sur son épaule, tombe au sol. Elle plisse les yeux et souris.

"C'est magnifique, Isran. Voilà longtemps que je n'avais rien vu d'aussi beau que ce que tu arrives désormais à faire. Merci. Merci d'avoir rendu ma présence ici utile. Enfin, pour autre chose que la lessive et le ménage. Alors à mon tour, je dois te dire quelque chose."

"Dans les souterrains, je t'ai aperçu. Je n'avais alors pas le droit de te parler, car nous êtions en plein exercice. Plusieurs lunes sans que les femmes parlent au hommes et sans que les hommes parlent aux femmes. Une idée de mon mari, quand il était encore écouté attentivement."

"Tu es venu et je t'ai utilisé une première fois. Pour tester mes limites. Dès lors, sans que tu le saches, tu es devenu mon protégé. Car par ma faute, la colère du guru risquait de s'abattre sur toi."

"Puis je t'ai utilisé une deuxième fois. Car je voulais faire plaisir à notre guru. Tu aurais pu être insensible à l'hypnose, pourtant, je sais que tu t'es laissé faire. C'est là que j'ai compris que malgré tes airs distants, il y avait quelque chose à tirer de toi."

"Depuis, j'ai voulu t'apprendre. Et aujourd'hui, j'aimerais que tu me pardonnes mes abus. Pour rendre plus belle encore la force que tu as su développer, par toi-même, sans que je t'aide. J'aimerais te dire merci. Te dire à quel point je suis fière, à quel point je t'adore. Même si je n'en ai pas l'air."

Elle pose la main gauche sur son coeur et incline la tête.

"Je prierais pour que les dieux te bénissent, avec une conviction et une volonté d'être entendue que je n'ai plus depuis mes dix-huit ans."

Son sourire se fait plus triste.

"Et pourtant j'ai encore tant a apprendre. Si tu as fini également, alors je vais te laisser avec une question.
A-t-on avis, avec ce que j'ai pu te dire lors de nos premières discussions, pourquoi penses-tu que je suis resté avec vous."

Isran vérifie qu'Amiya ne dis rien pour le retenir avant de commencer a se lever.

Et quand il se lève, elle se lève à son tour

"Ne pars pas. Je voudrais que tu restes avec moi, encore un peu. S'il te plait."

Et elle lui prend le bras.

"Je ne sais pas. Parce que tu es pragmatique et que tu y trouvais ton intérêt? Parce qu'après tout, tu avais été si seul, que tu voulais une famille? Je ne me souviens pas...dis moi. Et me laisse pas toute seule. Pas tout de suite. Je voudrais que tu me remontres le vent..."

Il pousse un soupir fatigué.

"Le sentiment de solitude est bien plus complexe que tu ne sembles le penser."

Ses épaules s'affaissent, et il reste dos a Amiya.

"Il se fait sa place jusqu'à donner l'impression qu'on ne peux pas vivre sans. Après l'avoir vécu trop longtemps, ce n'est pas quelque chose dont on se sépare volontairement."

Il se retourne finalement, avec un timide sourire, jurant avec ses yeux las.

"Quant au vent, je peux, mais ça me fatigue très vite, quand je te dis que j'ai beaucoup a apprendre."

"Juste une fois. Je voudrais voir où tu en es. Jusqu'où tu le maitrises. Si tu peux le diriger, le réguler. Je vais allumer des bougies, en ligne, et tu devras les étreindre, c'est tout. D'accord? On verra jusqu'où tu peux aller!"

Elle lui rend son sourire.

"Et si...si ma présence ne te dérange pas, si tu veux que je t'aide à nouveau à progresser..."

Elle baisse les yeux.

"J'aimerais bien...assister à tes entrainements et t'aider..."

Et la voix de plus en plus faible.

"Parce que moi aussi, je me sens très seule et ça serait bien qu'on soit seuls à deux..."

Et comme pour changer de sujet et surtout détourner l'attention de l'indien de ses joues rouges.

"Alors, pourquoi es-tu resté avec nous?"

Quand elle parle de l'entrainement, Isran hoche simplement la tête.

"Aussi longtemps que tu accepteras de me guider."

Il faut une pause, ne parlant pas pendant quelques instants avant de commencer.

"Il y a en fait deux raisons, une qui ne devrait pas trop te surprendre venant de moi, l'autre celle pour laquelle je te posais la question.

Si on suit ce que je t'avais dis la première fois, j'aurais du rester a Vertigo, plus en sécurité. Mais un effectif réduit permet de mieux prévoir les réactions, et donc d'éviter trop de problèmes de conflits internes, pour peu que l'on se donne la peine d'y faire attention.

La deuxième, disons la vrai, le monde semblait moins gris tout simplement. Réfléchis a la façon de ce groupe de fonctionner et compare la au reste du monde. Tu dois te souvenir que j'ai appelé Shankar un illuminé, mais compare sa personne a ceux qui ont pu se faire appeler Guru avant lui et vois la différence.

Tu veux commencer a placer les bougies maintenant ?"

Elle oscille de la tête.

"Aussi longtemps que tu auras besoin d'un guide, je serais là. C'est la seule chose dont je suis certaine d'être vraiment capable, enseigner."

Et elle le lâche, va chercher les neufs bougies qui éclairent la pièce et les place en ligne, à 50 centimètres les une des autres.


"Tu sais, Shankar est parfois...un grand enfant. Mais tu as raison, il n'est pas un guru ordinaire. Il met de la lumière et de l'énergie là où n'y en a plus...j'aimerais pouvoir en faire autant."

Un soupire et elle lève des yeux brillants.

"Quand tu veux!"

Elle s'écarte et trépigne presque, comme une grande enfant.

Isran se place lui même dans l'alignement des bougies, a 50 centimètres également de la première.

"La portée maximum a laquelle je peux influer l'air est actuellement entre 1 mètre 50 et 2 mètres, je ne sais pas précisément. Donc pour les bougies après je ne sais pas si, et combien je vais réussir a éteindre."

Quand il commence, la première bougie s'éteint immédiatement, sans le moindre courant d'air apparent, les deux et troisièmes flammes sont d'abord tour a tour déplacés dans la direction opposée avant de s'éteindre. Quant a la quatrième bougie, elle vacille mais la flamme au dessus ne s'éteint pas. Isran a l'air essoufflé a la fin de l'exercice.

"Pour la première je l'ai simplement privé d'air, j'ai soufflé les deux suivantes et essayé de créer un courant assez fort pour atteindre la quatrième, mais il n'était pas assez concentré et la bougie a bougé sans même éteindre la flamme. Il y a peut être un moyen d'y arriver mais ce n'était pas le bon."

Il regarde alors Amiya, attendant son verdict.

Elle applaudit, quand même, c'est un sacré spectacle.

"Alors, ta méthode, c'est de déplacer les flux d'air...tu arrives à les retirer...je ne sais pas si c'est du vide à proprement parler, mais c'est très intéressant...l'idée était bonne en tout cas, économiser le courant pour la suite...utiliser l'environnement, c'est un peu de la triche, mais c'est très intelligent..."

Tout en blablatant, elle tourne en rond et compte les bougies.

"Tu as du mal à atteindre deux mètres...en ligne droite! Il va falloir t'entrainer...parce qu'après, on attaquera les virages. Peut-être même que tu pourrais faire un mini cyclone? Il faudra essayer..."

"Il faudrait faire un souffle concentré et régulier, comme la tête d'un cobras qui s'allongerait pour attaquer. Tu vois ce que je veux dire? Concentrer l'énergie en un point, les anneaux enroulés, et l'envoyer sur une destination précise. Tu penses pouvoir faire ça? En fonction de la quantité que tu concentrerais, tu pourrais aller plus loin...et réguler la force du courant..."

"Et il faudra aussi essayer de déplacer des objets! Je vais réfléchir à la question!"

Très enthousiaste, elle se rend compte qu'elle s'emballe un peu...

"Tu...en penses quoi, toi?"

"Tant que ça reste sous cette barre d'environ deux mètres les virages ne devraient pas poser de problèmes. Et avec l'histoire des anneaux, si j'arrive a faire suivre une spirale aux courants, je pourrais peut être arriver a le garder concentré sur une plus grande distance c'est vrai."

Il sourit ensuite gêné.

"Quant a déplacer des objets, je suppose que ça doit être possible puis que j'ai fait bouger une des bougies, mais j'ai peur de m'épuiser bien vite dés que la masse augmente un peu."