Lune 142 - Avant le départ

Shankar rattrape sa main avant qu'elle ne touche sa botte, comme l'exige la politesse, ou l'humilité. Ou comme le ferait un homme qui rejette avec mépris cette reconnaissance, tout est question de contexte.

Mais l'homme ne semble pas spécialement dans le mépris ce jour-là. L'humeur plutôt orageuse, certes, sûrement suite aux échanges. Il avait lui même passé une partie de la journée dans sa chambre à la radio avec son épouse, gâchant sans doute de précieux instants avec ses invités contre quelques palabres avec de probables charognards.

Joignant à son tour les mains sous le menton :

De la main de mes amis ou d'autres mains, les tiens pourront toujours trouver refuge avec moi et ne sauraient être inquiétés par mes amis ainsi.

Je prendrai parti. Mon parti. Une guerre entre vous fait que nous perdons quoi qu'il arrive, même si nous nous retrouverons, à la mort d'un camp, dans celui du vainqueur. Si tu t'interposeras pour sauver les tiens, sache que je m'interpose déjà en ce qui te concerne. Il faut toujours connaître celui ou ceux que l'on protège. alors, je n'ai aucune hésitation pour toi, mais je te recommande de chercher auprès des têtes que réclame Kogan sir si il s'agit de ta réelle famille.
Toi seul à la réponse, pas Heisenberg, Suzaku ou moi.

Je ne suis pas un idéaliste non plus. Je ne m'interpose pas seul contre tous, de façon symbolique. Si tes mots ont énervé le Dragon, les Charognards qui volent avec lui sont pour beaucoup de mon avis. Et ma posture contre Suzaku leur donne une alternative. Rien n'est encore joué.

Mais des yeux d'un étranger comme Shankar Singh, tu es un putain de sédentaire, Ulysse. Un sédentaire du Club. Pas d'une ville bleue. C'est eux qui ont besoin de ta protection, pas les fautifs d'erreurs passées. Et ce n'est pas le Club que Kogan sir menace. Le Club, à dire vrai, est plutôt bien vu par beaucoup d'entre nous, et je ne parle pas que de mon clan ou de celui de Suzaku.

Il grommelle.

Je n'ai jamais parlé à ce Heisenberg. Je ne le connais pas. Mais il a de la chance d'avoir un homme qui le défende ainsi. J'espère qu'il est assez généreux en retour. Moi même, je n'ai défendu qu'une seule personne ainsi : Kurt Bunker, à l'époque ou l'A.R.C assiégeait la Tour. Et j'attends depuis plus d'un an son remboursement. Je ne réclamerai pas, car un homme bon sait quand il doit payer et le fait de lui même. Après, ce sont là tes affaires, mais moi, je ne fais plus cela.

Shankar soupire, bouche close.

Tu es un homme. Tu n'as rien à demander.

Je ne dirais pas que Suzaku Kogan est généreux en ne te proposant que trois têtes, pour éviter de toutes les prendre. Je dirais que c'est un choix que je comprends. J'espère juste que ces trois-là tomberont assez vites pour que les autres se maintiennent.

Il joint à nouveau les mains et s'écarte un peu, saisissant l'intention de son épouse.

Qu'y a t'il à ajouter ? Shankar joint les mains à nouveau, peut être un peu plus apaisé. Il s'incline vers Ulysse, puis vient toquer à la porte de la cabane, brisant peut être Lalita et Ajeya dans leur moment.

Lalita ne peut pas vraiment lutter contre l'émotion qui la submerge, mais sourit aux deux filles magnifiques qui se tiennent debout devant elle. Shankar est là aussi, et elle acquiesce dans sa direction.

"Nous sommes plus qu'une simple famille. Nous sommes une même âme... Même si j'ai un peu l'impression de vous quitter aujourd'hui, je sais que ce n'est que cette âme qui s'étire, qui s'étend. Je peux être là pour vous, si vous en avez besoin, comme j'aimerai que vous puissiez être là pour moi aussi..."

"La dernière fois que je suis partie, c'était avec de la peur et de la colère en moi. Aujourd'hui, c'est différent. Très différent. Je sais que vous êtes là, toutes les deux, fortes pour soutenir Shankar et Amiya... Je sais que notre famille a enfin trouver ses manières de vivre en accord avec ce Nouveau Monde..."

"Je vous aime toutes les deux, même toi Kristal. Tu es parfois fragile, mais c'est ton amour immense qui te rend ainsi ... Enfin, je crois..."

Enfin, elle les laisse après un salut aux mains jointes. Heureuse et triste à la fois. Avant de retrouver Shankar, ce frère fou et attachant.

"Je dois te demander un grand service... Si c'est possible pour toi..."

"Si les Charognards réalisent leur projet de décimer les Blue Meths, et que les cinq personnes venues ici n'ont pas survécu à cette guerre, peux-tu demander à Suzaku et ses compagnons de nous offrir les rites funéraires nécessaires pour que nos âmes puissent se réincarner dans de bonnes conditions...?"

La figure du chef s'ombrage un peu.

Si on devait en arriver là, nous ferons notre possible pour arriver au plus vite et procéder nous mêmes. Mais si cela advenait, c'est que l'ensemble des Charognards vous désavoue. Suzaku Kogan, comme Shankar Singh, n'engagera pas les siens dans une guerre qui ne fait pas l'unanimité. Et comme Shankar Singh pour la Tour, Suzaku Kogan est le seul pour l'instant à en vouloir à Ulysse pour ses mots. A l'inverse de mon cas, il demeure facile de le persuader du contraire, car entre Ulysse et lui, c'en est resté aux simples mots.

Il s'ombrage d'avantage.

Si on en arrive là et qu'ils attaquent le Club, j'espère que vous vous battrez férocement et que vous en tuerez quelques uns. Comme se battent les amis de Shankar Singh. Nous pourrons alors vous réunifier, dans une vie ou l'autre. Et alors je vous rejoindrais quand viendra le temps, et que le dernier des miens aura accomplit la Moksha.

Lalita hoche le visage, ne pouvant en cet instant promettre à Shankar de se battre. Elle est elle-même un peu perdue entre une vie d'observation stricte du monde, et une vie rythmée par des conflits. Depuis combien de lunes ne s'est-elle pas mise en colère ? Combien de lunes sans ressentir de haine...

Quel repos.

"Shankar, mes prières précéderont vos coups de rames... Je te remercie de nous avoir ainsi accueilli. C'était enrichissant pour nos âmes. Et malgré l'hiver et le mal de ventre qui me vient, vous voir m'a vraiment réchauffer le sang. Le froid m'avait pris depuis la Tour..."

Elle se penche, les mains jointes devant Shankar. Puis devant le bébé, devant Kristal et devant Ajeya.

Avant de ressortir de la cabane et rejoindre Ulysse et tous les autres sur le point de quitter ce petit ilot de paix.