Quatre portes vers le nouveau monde

Première porte : Brahmachari Dharma

Ajeya se réveille, elle est engourdie. Bizarrement, elle a le sentiment de ne pas être elle-même. D’ailleurs, elle se voit ! Son père la ramène à l’école. Est-ce un rêve ? Est-ce la mort ? Elle repense à la morsure.

Le maître la sermonne, les voies de la connaissance sont majeures.

« Ajeya ! Tu dois apprendre et connaître ! La voie de la vie passe par la compréhension du vivant et du passif. »

C’est physiquement son maître qui lui parle mais ce n’est pas sa parole. Ajeya a l’impression d’être dans une autre dimension.

Le venin faisait effet sur le système nerveux de l’enfant. Par chance, la morsure n’avait pas été trop importante et la succion efficace. Cependant, il lui faudrait plusieurs jours pour s’en remettre totalement.

« Ajeya, regarde moi ! »

Le maitre continue à lui parler, il a désormais l’apparence de Shiva et derrière lui la salle de classe brule, ses camarades ne sont plus que squelettes qui se consument.

« Le monde est neuf mais l’homme n’a pas changé ! Tu le rencontreras et il te parlera de renouveau, de codes ou pas, d’horreurs et d’espoirs. Rien ne change l’homme, il court à sa perte en accélérant chaque pas.

Tu es entre la première et la seconde porte, tu dois découvrir ton dharma. »

La fillette regarde autour d’elle, elle voit son père. Stoïque et concentré, un grand charmeur de serpent. Son dharma se dessine,  être calme, mesurer chaque geste. Elle voit aussi au delà des yeux de son père, sa mère morte qui lui parle.

"Méfie toi d'eux, les hommes, à hauteur de la confiance que tu accordes aux autres, les bêtes."

Puis, elle voit ses frères et sœurs, où sont-ils désormais ? Ils jouent. Elle gardera une part d’enfance en elle à travers eux.

Son dharma composite est devant ses yeux, le calme de la mangouste, la méfiance du cobra, le jeu du singe ; ainsi est sa destinée.

A demie consciente, elle psalmodie :

Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ... Nevala, Nâga, Bandar ...

Deuxième porte : Grihastha Artha

C’est jour de noces. Ajeya se voit. Elle a vêtu le sari rouge du mariage, elle porte les bijoux se sa mère.

A coté d’elle son promis est là. C’est un cobra royal vêtu de blanc.

Autour d’eux, des formes indéfinies dansent. Sa famille est là, le regard vide. De l’autre côté la famille de son promis, tête de cobra et corps humanoïde.

Au dessus d’eux les épais nuages de la fin du monde grondent.

La noce est célébrée et les époux rentrent chez eux. Passé le pas de l’humble demeure villageoise, un somptueux palais apparaît. À mesure que le palais se dévoile, le cobra grossit. Il est bientôt immense et occupe toute la place. Il s’enroule autour de sa femme-enfant.

« Par ma présence je te protège, moi le chef de famille. Tu es femme du cobra. D’eux tu n’auras plus à craindre. Où que tu sois ils seront tes protecteurs. C’est pourquoi je te redonne tes fils, ma femme. Manik et Tufan venez à votre mère. »

Alors qu’Ajeya délire, les deux serpents sont revenus se lover auprès de leur petite maitresse.

« En tant que chef de famille je t’apporterais la prospérité ou que tu ailles. Grâce à mes deux fils, tu auras toujours de quoi manger, ils chasseront pour toi.

Va ma femme, grandit, prospère, mène ta famille, droite, méfiante et enfantine en même temps. Nevala, Nâga, Bandar »

Le serpent disparaît emportant son palais, Ajeya entrouvre légèrement les yeux, elle ne distingue pas grand chose. Des flashes de lumière provenant du dehors projette son ombre. Elle continue à délirer.

Troisième porte : Vanaprastha Kama
Elle avait bougé, ne sachant trop comment dans les méandres de galeries qui semblaient s’être créées en cette fin d’un monde. Elle suivait ses fils, Manik et Tufan, à travers le dédale, les laissant faire ses choix.

Dans le corps de l’enfant, le venin fait toujours effet sur le système nerveux même si sa puissance est moindre. Chimiquement, il semble se produire une association, une fusion entre son être et les atomes des cobras.

Ajeya marche comme un zombie dans les méandres de la Terre, elle en croise d’ailleurs, de ces êtres qui ont cessé de vouloir vivre.

Puis, elle le trouve, son bosquet, sa forêt. C’est l’heure de la contemplation.

L’enfant, fiévreuse et délirante, est assise face à un mur en béton. Elle le fixe, scrutant chaque interstice. Le lichen qui y a construit sa demeure lui apparaît comme la plus belle des forêts.

« Nevala, Nâga, Bandar. Shiva ouvre moi la voix. »

Les serpents s’enroulent contre la fillette et la massent de leur mouvement reptilien. Ils cherchent à la faire sortir de sa torpeur, de sa contemplation.

Cette porte semble étroite et instable. Dans ce nouveau monde, la contemplation ne peut-être qu’une très courte étape si l’on veut vivre. Trop de contemplateurs passent de vie à trépas faute de réponses à ceux qui agissent.

Elle trouve enfin, la force de sortir de son extase et briser le kama. Elle se lève et va frapper à la porte en béton au milieu du mur.

« Nevala, Nâga, Bandar ».

Quatrième porte : Sannyasi Moksha

La porte n’en est pas une, il s’agit juste d’un mur plus sombre. La fillette commence à recouvrer ses esprits. Le venin enfin assimilé par son organisme.

Elle regarde. Elle voit grâce à la lueur de lampes de sécurité, répartie de ci de la sur les plafonds. Comment est-elle arrivée là. Manik et Tufan sont sur elle. Ils attendent ses décisions.

Elle a faim mais sait qu’elle doit se restreindre. L’ascétisme sera désormais un quotidien pour ceux qui sont passés à travers les bras armés de Shiva.

Les temps ont changé. Il ne faudra peut-être plus se focaliser sur la pureté de l’aliment mais plutôt sur la pureté de l’action.
Vivre ou mourir deux états qui ne vont plus tenir à grand chose elle le sent en elle. Elle voit par l’œil du cobra.

Elle sent par sa langue, voit par ses yeux, ressent par son corps. Un monde est mort, le nouveau est en train de se créer, ni pire ni meilleur juste nouveau.

Les premiers restes humains qu’elle trouve l’éclairent définitivement sur la nature de ce nouveau monde. Il n’y aura pas d’autres vies. Elle est au terme de son cycle de vies. Elle a franchi les quatre portes, l’étude, la famille, la contemplation et désormais l’ascétisme.  Elle a trouvé son dharma « Nevala, Nâga, Bandar ». C’est sa dernière vie. Elle va la vivre autant que possible.