L54 - Qui gagnera le grelot ?

La distance entre les Ohms et Vertigo rapetisse, en même temps que la date du mariage approche. Pour Lalita, la priorité aux préparatifs, même si elle s'accorde quelques récréations fortes en émotions.

Après le repas commun, Lalita attire Gina près du feu de camp, d'un signe de la main accompagné d'un sourire.
Alors qu'elle alimente le feu de quelques branches brisées, elle s'assoit et demande pudiquement, tout bas.

"Excuse-moi, mais j'ai besoin de ton aide pour confectionner des ghunghurus. Malheureusement, ta seule aide ne suffira pas malgré ton talent. Nous manquons de temps pour parfaire certains détails."

"Il faudrait aussi demander à Isran de nous rejoindre dans cet effort. Pourrais-tu le chercher s'il te plait ?"

Elle semble très gênée de demander un tel service, son regard timide scrute ses mains sans oser donner plus d'explication, de peur de manquer à sa promesse.

Entendant son nom, Isran se dirige vers la source des vociférations et tombe nez a nez avec Gina.

Hai, pas besoin de crier aussi fort, à moins que tu cherches a prendre le monde entier a témoins.

Il secoue légèrement la tête de droite a gauche en indiquant son oreille.

Je ne suis pas sourd après tout, mais soit, que me vaux cet honneur ? Je doute que tu m'appelles avec autant d'entrain sans raison.

"Oh, ne pars pas Gina, j'ai aussi besoin de ton aide pour les grelots... A nous trois, nous devrions y parvenir."

Lalita parle tout bas, c'est vrai, et garde ses yeux inclinés vers un bocal de fines lamelles d'aluminium. Elle sort une pince et une plaque de fer.

"Nous allons transformer ensemble ces bouts de canettes en de bruyants grelots. C'est un travail minutieux, et répétitif. Il nous en faut beaucoup, peut être 200... Nous les coudrons sur des bracelets de chevilles, les ghunghurus. Pour danser ensemble au mariage... "

La présence de Gina semble rassurer l'Indienne qui prend sur elle pour s'exprimer en présence de celui qui est resté un inconnu pour elle depuis qu'il les a rejoint dans les égouts.
Alors pour la remercier, elle lui offre un sourire bienveillant, en espérant qu'elle comprenne.

Adressant un grand sourire entendu à Lalita.

Bon bé le premier qui dépasse 67 grelots a gagné !

Il hoche la tête et réponds avec un sourire.

On devrait arriver a finir sans trop de problème avant le mariage. Vous pensez qu'on devrait en prévoir pour ceux de Vertigo aussi ?

Isran ne semble pas faire grands cas de la timidité de l'indienne, mais choisis de parler au deux femmes pour ne pas mettre la mettre mal à l'aise avec sa question.

Lalita sourit au défi lancé par Gina. Elle distribue les lamelles chaudes à chacun, et pose les outils de fortune au milieu. Une façon de leur dire : bon courage, je n'ai que çà pour travailler.

"Je ne sais pas si nous aurons le courage d'en faire autant aujourd'hui, je veux dire... suffisamment pour les habitants de Vertigo. Mais... Mais si tu as encore de la force, après les 67 grelots, peut-être pourrais-tu fabriquer de beaux tambours de chez nous...? Un Dholak, peut être...?"

Isran se met a parler tout seul, semblant réfléchir a la proposition.

Hmm, seul cela risque d'être... Mais si ça me permet d'éviter... Il y aura les grelots !

Sortant de sa réflexion, il s'adresse de nouveau aux deux femmes.

Oui, cela pourrait être une bonne idée, une idée de si quelqu'un sait en jouer parmi nous ? Et il faut aussi vérifier qu'on a tout ce qu'il faut pour.

Elle lève un regard étonné vers Isran, qu'elle rengaine aussi, très gênée.

"Tu... Tu ne sais pas jouer Isran...? Je... Je pensais que tous les hommes connaissaient les rythmes de nos danses, et savaient frapper nos tambours mieux que personne dans l'ancien monde..."

Et un, un petit grelot.

Les voyant commencer a confectionner les grelots, Isran se dépêche de se mettre au travail également.

J'ai quitté l'Inde très jeune et n'ai pas pu me familiariser avec les particularités du Dholak, mais d'autres instruments sont passés sous mes mains. A moins qu'il ne présente vraiment des différences exceptionnels je devrais arriver a en jouer.

Quand a saisir le rythme, si je vois quelqu'un danser, s'y adapter ne devrais pas être trop compliqué.

Il finit minutieusement le premier grelot, et semble accélérer légèrement en passant au deuxième.

L'iceberg se prend un coup de réchauffement climatique, se craquelle. Lalita parle à Isran et réciproquement :  quelle avancée Gina, bravo !

"Tu n'as donc jamais vu de près nos danses...? Ce sera la première fois lors du mariage ?"

"Pour le moment, nous n'avons pas organisé de fête pour préserver nos énergies pour le mariage. Mais je suis certaine que lorsque nous repartirons de Vertigo, nous ferons bien plus de célébrations dans le désert... Juste pour célébrer la joie d'être en vie, d’honorer nos proches morts aussi... Ces instruments ne serviront pas qu'une seule fois. Et ..."

Sa voix s'émeut un peu. Elle a du mal à verbaliser ce qu'elle ressent.
Mais avec un peu d'effort, et tout bas.

"Je crois que ça me manque... Nos chants... Nos danses... Nos rythmes si proches des battements de nos coeurs. Je m'en suis privée tellement longtemps... J'ai besoin de retrouver tout ça... Le parfum et la musique vibrante de nos racines..."

Est-ce donc une larme naissante qu'elle écrase avant de déposer un autre grelot terminé.

Si Isran voit cette scène se dérouler sous ses yeux, il choisit de ne pas la commenter et réponds plutôt a la question.

Même si cela fait bien longtemps, ayant quitté l'Inde a huit ans, j'ai quand même assister a un certains nombres de festivités, mais j'étais plus concentré sur le contenu des poches des danseurs que sur leurs pas ou le rythme.

Et j'espere bien qu'ils ne serviront pas qu'une fois, ce serait gâcher de bien précieuses ressources.

Un sourire reconnaissant pour Gina s'ouvre sur le visage aux yeux rougis. Elle la remercie silencieusement, quand Isran offre une bribe de souvenirs de sa vie aux deux femmes. Enfin, elle reprend plus sérieusement, non sans ajouter plus de douceur dans sa voix.

"L'Inde pour toi, est donc associée à de mauvais souvenirs...? Est-ce donc pour cela que tu sembles distant avec nous ?... "

Elle ne semble pas étonnée par l'idée même que de si jeunes enfants soient obligés de voler pour survivre.

Un sourire léger apparaît sur ses lèvres, son regard le fait paraître pensif, et calme.

Je ne suis pas sûr que l'on puisses appeler cela de mauvais souvenirs, ni bons d'ailleurs. Un simple épisode de ma vie sans lequel je ne serais pas la même personne.

Et si je parais distant, ce n'est pas mon intention, et n'as aucun lien avec l'Inde. J'ai juste pris la peut-être mauvaise habitude d'observer un moment les gens qui m'entourent afin de pouvoir agir en conséquence.

"Oh..."

Voilà une attitude qu'elle peut comprendre. Une stratégie payante, sauf que lorsqu'elle la pratique, ça semble ne jamais prendre fin cette phase d'observation.
Attentive à son travail.

"Et tu volais pour toi, ou pour d'autres ?"

Un nouveau petit grelot.

Si je volais pour d'autres, c'était rarement par choix.

Il vérifie le grelot entre ses mains avant de le poser et de passer au suivant.

En fait même voler pour moi n'était pas vraiment par choix. Quand je le pouvais, je donnais simplement ce qu'on me forçait a mendier, et tentait de garder ce que je volais. Si j'avais de la chance ça passais, et même si cela ne marchait pas, je savais que je serais en état de recommencer le lendemain.

Il semble distrait un instant, puis reprends la confection de grelots.

Une vie dure, mais du moment qu'on n'est pas surpris en train de voler, peu dangereuse.

Lalita n'est pas certaine que ce soit le meilleur moment de lui parler des enfants qu'elle faisait travailler dans son atelier. Ce n'est pas toujours très bienveillant de ramener le sujet vers ses propres expériences. Le passé d'Isran semble l'intéresser. Peut être parce qu'elle imagine l'enfant qu'il a été, et qu'il lui rappelle nombre d'autres qu'elle a pu côtoyer dans son quartier.

"Comment as-tu pu t'en sortir ? A 8 ans, que s'est-il passé ? Tu as pu trouver un autre travail, ailleurs ?"

Son regard s'est assombri, fixée au loin par un oeil qui a cessé de bouger, et le sourire qu'il avait a également disparu. La voix, elle, reste calme.

Je ne m'en suis jamais sorti, je me suis fait prendre par un couple d'étrangers, ils... Je suppose que le terme adopter corresponds suffisamment, et j'ai quitté l'Inde avec eux.

Alors qu'il regarde ailleurs, Lalita quitte son ouvrage des yeux pour observer Isran qui semble bien loin.
Le manque de détail pourrait tout laisser imaginer, même le pire. Pour qu'il parle d'adoption de manière si sombre, cela a du être un calvaire.

"Et tu n'y es jamais revenu ensuite ? Ce couple t'a offert une belle vie ? Dans quel pays t'ont-ils amené ?"

Et elle reprend très vite son travail.

Avant de répondre, Isran regarde Gina, lui indiquant qu'elle a le droit de parler aussi.

Je ne suis jamais revenu non, et s'ils m'ont emmené en Amérique, je ne l'ai pas vu, et je doute que le traitement qu'ils ont eu a mon attention puisse être qualifié de bons, puisque mes jours furent pire que ceux en Inde.

Les grelots tintent, et seulement eux. Les révélations d'Isran semblent difficiles à assimiler. Et même si il ne désire pas inspirer de tristesse, difficile de rester insensible au souvenir d'un petit garçon brun et paumé.

"Isran, je suis triste d'apprendre ça de ta vie, de ton passé. Si je peux faire quelque chose pour améliorer ton présent, dis-le. Je serai heureuse d'adoucir un peu ton quotidien. Je ne te servirai jamais comme une épouse indienne, mais j'ai assez d'amour en moi pour qu'un peu de mon temps serve à racheter les erreurs de tes bourreaux."