L46: puisqu'on a le droit de se causer...

Isran scrute son visage, semblant y chercher quelque chose, avant de s'ouvrir d'un sourire.

Namaste. Vous êtes un groupe accueillant et les seuls problèmes que j'ai eu étaient dus a mon ignorance, et non de réels conflits. Je ne vois pas vraiment de quoi je pourrai me plaindre ici.

Il désigne alors les alentours du bras.

J'ai eu l'impression qu'on m'a beaucoup montré, mais que j'ai très peu vu. Vous semblez être des gens simples, mais je me garderai bien de porter un avis aussi hâtif. Je vois une personne diriger, et le reste suivre, cela pourrait en décourager un certain nombre, mais j'admire cela, car de tout les systèmes que j'ai rencontrés, c'est de loin le plus efficace.

Ses bras s'abaissent alors, et le sourire, même s'il n'a pas bougé, est accompagné d'un regard froid et prends un tout autre sens.

Hai, on m'a montré les individus, j'ai vu le groupe, et c'est suffisant pour dire que je ne ressens pas de gêne parmi vous. Mais je n'ai vu que le groupe, et bien qu'il m’aie été présenté, ne connaît rien de ceux qui m'entourent.

Et les miens s'assoient rarement au niveau du sol, alors même qu'ils y passent tout leur temps.

Expliqua-t-il en s'agenouillant sur le coussin qu'on lui propose.

Je ne pense pas pouvoir comprendre pleinement ce que l'on me dit d'un autre, si je ne prends pas la peine de savoir qui est mon interlocuteur.
Mais je suppose que toute information a un prix, surtout en ce nouveau monde.  Et seul un fou ou un ignorant s’engagerait les yeux fermés.
La seule chose que je réprouve est le mensonge, alors dis moi ton prix.

Sur son visage, le sourire a disparu, et seule l'expression neutre d'un joueur de poker, ou d'un homme d'affaire reste.

Il hoche la tête et son sourire revient.

Ton prix est juste, seule la répartition des ressources ne l'est pas, mais elle ne l'est jamais. Il reste un dernier détail a régler. Après cela, étant donné que j'ai mis sur la table la question de prix, tu pourras poser ta première question, si cet ordre te convient. Tu peux également en poser plusieurs en même temps. Mais il est souvent préférable d'ajuster en fonction des réponses.

Avant toute chose je dois savoir de quelle manière je peux utiliser ce que tu me donnes. De façon plus claire, dois-je être le seul a savoir que tu me l'as dis ? Je ne souhaite pas accidentellement rompre un accord tacite. C'est pourquoi je préfère que ce soit dit clairement.

Comme s'il était rompu a l'exercie, ni les bras, ni les jambes d'Isran n'ont bougé depuis le début des négociations malgré sa position hautement inconfortable.

Il semble que tout s'est passé selon vos prévisions, au moins pour la majeure partie. Mais puisque nous sommes parvenus a un accord, alors commençons.

Sa posture change alors radicalement, Isran est maintenant assis en tailleur, ou presque, il semble beaucoup plus relâché, avant de se saisir de l'assiette, et d'incliner la tête brièvement.

Je doute que cela soit officiel, bien que ça n'est plus d'importance maintenant, mais je suis bien Indien. Orphelin, j'ai survécu jusqu'à mes huit ans dans un bidonville du sud de Dehli. Avec la mendicité et le vol comme seul moyen de subsistance, il n'est pas vraiment étonnant que j'ai fini par me faire prendre.
Ce qui changea véritablement le cours de ma vie, est l'identité de ceux qui m'ont attrapé. Un couple d'Américain, venu faire du tourisme. Ils avaient beau faire mille promesses et ne pas sembler énervés je ne leur faisait pas confiance. Mais cela n'a pas changé grand chose. Je n'avais pas la force de résister.

Il prends une bouchée, avant de continuer son histoire.

Ils ont gagné ma confiance dans les jours qui ont suivis, ou plutôt celle de mon estomac. Toujours est-il que je n'ai pas fait de difficulté quand ils m'ont annoncé qu'ils rentraient en Amérique, et que je partais avec eux.
Et voici que se terminent cette première partie de ma vie, ou plutôt survie, dans la pauvreté et le besoin. Je n'ai rien a cacher sur cette période, alors si tu veux des éclaircissements avant que je continue, fais le moi savoir.

Alors ainsi soit-il.
Je suppose qu'il est inutile que je décrive l’aéroport, ou le trajet en avion, mais pour le moi qui n'avait connu que des bâtiments en tôles, c'était simplement de la magie.
Pour ce que j'ai connu de l'Amérique, et bien très peu a l'époque, un aller retour en taxi de entre chez eux, et la piste atterrissage la plus proche, ainsi que les 50 mètres carré dans lesquels j'avais le droit de circuler.
Il faut croire que ces gens avaient une définition différente de l'amour filiale de celle de la plupart des êtres humains. Je suppose que c'est efficace pour se libérer un peu du stress.
Il étaient très forts pour jouer sur l'espoir, mais au bout de deux ans, ils m'ont complétement brisé, et j'ai alors perdu tout intérêt à leurs yeux. Si bien que je n'ai pas offert la moindre résistance lorsque le seul trajet que j'ai connu a été effectué en sens inverse.

Le sourire qu'il a commencé a afficher plus tôt ne l'as pas quitter, mais son regard semble vide pendant un instant, il mange alors un morceau, et reprends sans qu'il reste la moindre trace de son trouble passager.

La seule différence est que je n'ai pas atterri en Inde, mais en Chine cette fois. A ce point là ils m'ont abandonné, et sont certainement partis chercher un autre jouet. Et je me suis retrouvé perdu dans un pays sans même connaître en connaître la langue.
J'ai trouvé sans trop de mal les quartiers les moins bien fréquentés. J'ai du me remettre au vol dans ces quartiers, a la seule lumière des néons rouges.
Encore une fois, j'ai fini par me faire prendre, par un natif. Je n'ai pas compris ce qu'il disait, et quand il a entendu ma réponse en Hindi, il m'a emmené dans un établissement des environs, et m'a fait signe de nettoyer.
Dans ma situation je n'ai pas vraiment eu le choix. Après quoi, il m'a donné un bol de riz. Le message était clair, si je suivais les ordres, je survivrai. Ce que j'ai du faire par la suite, les autorités était loin de l'apprécier. Mais comme je ne pouvais pas me faire comprendre, mes "employeurs" ne prenaient aucun risque.
J'ai fini par apprendre leur langue et réussi, et comprenant la valeur de la connaissance, j'ai commencé a apprendre le plus de choses possibles. Que ce soit un savoir manuel, une langue ou les endroits où se procurer divers types de produits, si je le pouvais, alors je l'apprenais.
Et je savais que si je voulais vivre tranquillement, il faudrait que je quitte ce genre d'occupation, ce qui risquait de leur déplaire. C'est pourquoi, dés que j'ai réuni assez d'argent, dix ans plus tard, j'ai quitté le pays.

Sans sembler chercher son souffle, il recommence a manger.

La suite, bien que représentant la plus grande partie de ma vie, sera la plus courte a racontée.
J'ai rejoint le Japon, où je me suis racheté une conduite, et ai commencé a proposer divers petits travaux. Dés que j'ai pu, j'ai monté une petite entreprise, avec les années elle a pris de l'ampleur, et j'étais en avion quand le monde a changé. M'amenant par la suite en ce lieu.

Il hoche la tête, et il perd son grand sourire pour un plus faible, mais plus naturel.

Eh bien, j'ai déjà parlé du vol, j'apportais parfois leurs drogues aux filles des différents établissements du quartier, ou j'en vendais à l'habitant. Beaucoup de racket aussi, les gens trouvaient les menaces plus convaincantes quand ils ne comprenaient pas la langue là bas.
Et le meurtre une fois, c'est après cela que je suis parti.

"Ho"

Elle hausse les épaules, comme si ça n'était pas si grave finalement.

"Veux-tu me poser une question en retour? Ou je continue mon interrogatoire?"

Son sourire revient s'installer, elle ne semble pas très inquiète de la suite.

Je pense que tu as atteint ton objectif premier avec cette question, même si je peux me tromper.  Mais j'aimerai bien que tu répondes a une des miennes avant de continuer.
Ma requête est simple,  je souhaite simplement que tu me racontes ce que tu peux sur ta vie, non pas d'avant, mais ici.
Puisque que je vous rejoins c'est l'information la plus cruciale pour moi a ce jour.

Il joint alors les mains, le poing gauche fermé dans le creux de la main droite, et ferme les yeux, prêt a écouter.

Sa vie ici. Une question simple.

"Le viraat a fait naufrage. Je suis entrée dans la grotte la plus proche de la côte, j'ai marché. Je n'ai pas cherché à aider quelconque survivant, car se qui s'est passé sur ce navire doit y rester. Je devais continuer ma route. Retrouver Abhilasha, ma fille.

J'ai marché, longtemps. Et quand j'ai cru être assez loin de mon passé, je suis tombée sur Sri Shankar. Il ne m'a pas reconnu et s'est présenté. Très vite, j'ai compris qui il était, le bien qu'il pouvait faire comme le mal. J'ai hésité, rester ou non, puis j'ai laissé Shiva décider pour moi. Je lui ai demandé un message, il m'a répondu de rester.

Alors j'ai pris la décision de m'assurer qu'il ne fasse jamais de mal autour de lui. La première étape était celle de réguler son appétit des plaisirs de la vie. Un homme comme lui sait rassembler les gens. Un homme comme lui attire les femmes et s'en joue. Un homme comme lui peut détruire tout ce qu'il touche comme il peut construire des merveilles. Il fallait que je sois sûre qu'il ne blesse personne, que le pouvoir ne le rende pas fou, qu'il n'en abuse pas.

C'est pour cela qu'aujourd'hui, je me prépare à l'épouser. C'était le seul moyen qu'il reste sage, le seul moyen qu'il reste concentré sur sa tâche et non sur les courbes de celles qu'il pourrait croiser. Le seul moyen qu'il m'écoute vraiment, car un homme comme lui doit avoir quelqu'un de terre-à-terre à ses côtés.

Au fur et à mesure, le groupe s'est agrandi. Ajeya est arrivée, la première. Puis Mukunda, Lalita et Hébinuma. Chacun apporte quelque chose aux autres, à sa façon. Nous ne sommes pas forcément tous amis, mais nous arrivons à vivre ensemble, car nous n’empiétons jamais sur le terrain des autres. Depuis que nous sommes tous ici, je tâche de m'occuper de presque tout le monde pour que chacun soit à l'aise. J'essaie de comprendre les besoins de chacun et d'y répondre. C'est tout."


Son récit finit, elle attend qu'il ouvre les yeux.

Il reste ainsi une dizaine de secondes de plus, avant de rouvrir les yeux.

Hai, je pense comprendre. Ma prochaine question concernera sûrement l'homme qui dirige ce groupe, celui que tu tentes d'apprivoiser.
Mais avant cela pose donc ta question, que veux tu savoir de plus.

Elle plisse les yeux.

"Quelles sont tes intentions, lorsque tu demandes des informations sur notre Sri?"


Qu'il s'agisse d'un mariage arrangé ou mariage arrangeant, elle semble fidèle aux traditions et vouloir protéger celui qui partagera sa vie jusqu'à sa mort. Enfin, si elle meurt la première, puisqu'elle a déjà prouvé qu'elle n'avait pas du tout envie de suivre qui que ce soit sur un bûcher.

Il hausse un sourcil, intrigué.

Lorsque l'on souhaite des informations sur un groupe, il y a deux façons de procédés. S'informer sur la vie de ceux de plus bas statuts, ou par ceux possédant la plus forte influence.
Moi je commence par mon interlocuteur, systématiquement. Ensuite, tout ce que je sais du groupe, c'est que Shankar le dirige.
N'est-il donc pas logique que je veuille en savoir plus sur lui ?

Mais soit, mes intentions sont simples, m'assurer que votre Guru ne me mène pas a ma perte, et pouvoir si possible, éviter d'aborder en sa présence, les sujets qu'il n’apprécierait guère.
En clair juste ce qu'il me faut pour pouvoir imaginer un peu l'avenir, et ne pas avoir d'ennuis.
Ma réponse te satisfait-elle ?

Il a l'air sur de lui, comme s'il connaissait déjà la réponse a sa question.

Elle garde son air suspicieux.

"Oui, ça me va."


Puis elle sourit.

"Le statut le plus bas ici, c'est celui de sadhu, qui a renoncé à sa caste. Mukunda. Pas le plus aimable des hommes, mais je ne peux que t'encourager à le titiller. Maintenant, dis moi. Que veux-tu savoir sur Shankar?"

Ce que tu acceptes de me dire sur lui, majoritairement ce qu'il a prévu, et ce en quoi il croit, ça me semble un bon point de départ pour comprendre l'individu.

En énonçant ce qu'il veux savoir, Isran prends un air sérieux.

Elle lève un sourcil. C'est tout?

"Il n'a rien prévu de précis, il se laisse guider par Shiva lui-même. Je pense qu'il ne cherche ni la vie, ni la paix, mais bien la mort. Car l'on dit que mourir est un plaisir et qu'il veut gouter à tous les plaisirs de ce monde.

Seulement, il aime trop sa vie pour vouloir en changer et se réincarner. C'est donc à ceux qui le demandent qu'il apporte la mort. Il croit en ses convictions et en ce qu'il fait. Alors chacun de ses actes est sincère et unique. Si tu as un problème, il sera à ton écoute et t'aidera. S'il ne le fait pas, demande moi de l'aide et il t'aidera.

Parfois, il a des révélations. Parfois, il nous fait faire des exercices spirituels. Méditation, ou ne plus se parler pour apprendre à communiquer autrement...chaque jour auprès de lui est une surprise."


Elle marque une pause.

"Toi qui est né en inde, tu connais notre religion. Que tu y crois ou non, tu seras le bienvenue chez nous, car croire ou non en les convictions de notre guru n'est pas important. L'important, c'est de le suivre. De nous suivre."

Il hoche la tête et sourit.

Je pense que j'ai ce que je voulais savoir sur lui. Comme je l'ai déjà dit, je vous suivrai.

Une question ? Ou dois-je poser la mienne ?

Complètement à l'aise et détendue, elle tend les jambes sur le côté et s'appuie sur ses bras, la tête et le corps un peu en arrière.

"Demande ce que tu veux. Je n'ai pas de question pour l'instant, à part la première que je t'ai posé et à laquelle tu n'as toujours pas répondu."

Il laisse échapper un léger rire.

Tu ne mâches pas tes mots, mais avant que je puisse répondre a cette première question, il me manque encore un élément. Encore très simple, du moins d'après moi.
Elles concerne le Sadhu, ou plutôt votre attitude envers lui, ainsi que la sienne envers vous. Avec une réponse a cette question, je pense que j'aurais une idée assez claire de l'espace dans lequel je vis aujourd'hui.

Elle hausse les épaules.

"De mon côté...je crois qu'il ne m'apprécie pas et c'est réciproque. Il n'y a rien à savoir là-dessus, je n'aime ni son regard dégradant sur les femmes, ni ses airs moralistes, ni le ton qu'il emploie quand il s'adresse à nous. Lui, je ne sais pas ce qu'il a contre moi, mais je m'en fiche."


Elle réfléchit à sa situation auprès des autres.

"Je pense Lalita le supporte ou essaie de le supporter, qu'Hébi le découvre, qu'Ajeya l'aime bien ou s'en fiche, mais que mon futur époux l’apprécie. Il suit ses conseils, ou au moins les entends avant de faire ce qu'il a envie de faire."

Elle sourit.

"Alors, peux-tu me répondre maintenant?"