L 142 - Sur l'eau lisse

Les premières lueurs du jour baignent encore la face cachée du nouveau monde quand Lalita vient tirer de ses rêves, Ulysse, un index barrant sa bouche.

Ce midi ils quitteront sa famille, cette cabane dans laquelle s'est joué mort, naissance, amour, haine, alliance, guerre.

Mais avant, la souris veut profiter des embarcations disponibles pour faire un tour avec le gitan qu'elle aime et admire tant.

Il ne leur faut que peu de temps avant de désencorder le pédalo et de prendre le petit large qu'offre le bras de rivière. Le courant est doux, tout comme les caresses de Lalita pour la main chérie de Ulysse, tout comme son sourire tourné vers l'horizon violacé.


Elle finit par arrêter de pédaler. Et propose d'un geste simple de la main Ulysse à l'imiter.

Tout est silencieux, paisible, délicieux pour elle. Et elle l'espère, pour lui aussi.

Lalita l'embrasse à nouveau, alors qu'il lui propose déjà de le quitter. Elle sent l'émotion comprimer son estomac et sa gorge. Elle ne se déloge pas de cette étreinte.

"Oui, tu as raison, je devrais repartir avec ma famille, ou même ailleurs... Vivre loin de toi, prier pour ta survie et celle des Blue Meth. Et puis..."

Elle a un rire nerveux, et presque triste.

"...Mais il faudra trouver autre chose pour que je te quitte. A vrai dire, j'avais envie de t'emmener visiter le sud. Rencontrer tes détracteurs face à face, bien que tu n'en aies pas beaucoup. Tu aurais eu simplement à convaincre les plus sceptiques de tes bonnes intentions... Organiser même une rencontre avec Suzaku Kogan, dans un lieu neutre. Il aurait fallu juste temporiser le temps que la rencontre se fasse..."

La brume se dissipe, le ciel déploie son aura bleue.

"Maintenant, je ne sais pas si tu quitterais le nord, ne serait-ce que le temps d'un cycle de lune... Cela devient une mauvaise idée au fur et à mesure que le temps passe."

"Je n'ai pas envie de te perdre Ulysse... Et pour autant que je sache, je ne sais pas bien comment t'aider. Du moins, pour l'instant."

Et comme Lalita est incapable de mentir, à lui encore plus qu'aux autres, elle ne répond que par un sourire plus tendre qu'énigmatique. Il pourra lire ce qu'il lui convient dans ses yeux noirs, sertis par du khôl.

"Je crois que quelqu'un m'a dit un jour que le pédalo était la plus stable des embarcations..."

Ses mains se glissent sous la couverture, alors que son rire léger tintent au rythme de ses bijoux. Elles recherchent la chaleur des cuisses de son adorable mousse. Même les poules d'eau qui passent devant eux à toute allure, ne verront pas ce qui s'y passe. Il faut dire qu'il l'a si bien embrassé, qu'il l'a un peu cherchée.

"Alors, comment trouves-tu ma famille ...? Je ferai bien aussi de faire connaissance davantage avec la tienne, mais j'ai toujours beaucoup de mal à être à l'aise avec les hommes. Tu ne m'en veux pas ?"

Et des couches de tissus il y a en a... Un vrai labyrinthe pour seulement toucher un bras, un omoplate, ou même une cheville. Mais les baisers durent et se multiplient, leurs souffles mêlés réchauffent la petite cabane sur pédalo. Et les caresses destinées à la peau de Ulysse sont déjà bien moins difficiles à prodiguer.

"Oui... très entiers... Je crois qu'ils t'adorent..."

"J'ai peur qu'ils ne veuillent plus te laisser partir, si nous restons trop longtemps..."

Leurs corps se rapprochent un peu plus, déséquilibrant l'embarcation. Le pédalo donne son premier coup de semonce. Lalita se met à rire, abandonne ses envies premières à contre cœur.

"Je me demande bien comment ils font sur leurs bateaux pour... Ils ont surement des techniques de marin, avec des noeuds de corde, je ne sais pas..."

Elle susurre doucement, entre deux baisers secrets.

"Je me rattraperai quand nous serons revenus sur la terre ferme..."

Elle laisse la couverture retomber. Finalement le soleil est de retour après ces deux lunes brumeuses. Blottie contre lui, face à la nature gorgée d'une lumière nouvelle.

"Je resterai avec toi, Ulysse... Je ne sais pas encore comment, mais je resterai auprès de toi tant que tu m'aimeras assez pour me supporter..."