L78: La planque des pirates

C'est un matin qu'Amiya, armée de sa besace, vient chercher Ajeya. Vêtue à l'occidentale, comme ça lui arrive si rarement, d'un jean troué au genou et d'un pull de saison (troué au coude), elle semble prête pour l'aventure.

"Tu viens explorer la grotte sur la falaise?"

Falaise, c'est un bien grand mot, il s'agit juste d'une petite butte de rocaille en bord de mer. Pourtant il y a bien ce trou noir, un peu au dessus de l'eau, qui attise sa curiosité depuis qu'ils se sont installés sur la plage. Et qui de mieux que la fille aux cobras pourrait l'accompagner là-haut?

Elle oscille de la tête, tourne les talons et reviens quelques instants plus tard, armée d'une torche.

"Voilà, il suffira de l'allumer. Je t'apprendrais à les fabriquer si tu veux, ce n'est pas très difficile. Prête?"

Elle commence déjà à avancer vers le bord de la plage, aussi curieuse que l'enfant, escalade les quelques gros rochers et s'arrête à l'entrée. Une légère bruine tombant à l'extérieur, elle attend d'être à l'abri pour craquer une allumette et enflammer le tissu imbibé de paraffine, trouvée dans le laboratoire de contrefaçon. Elle illumine alors l'intérieur de la grotte, décrivant un large cercle pour éclairer chaque paroi, jusqu'à ce qu'elle se fige.


L'endroit est soudainement moins accueillant...

"Je crois que quelqu'un a oublié ses kapalas..."

Ajeya voudra-t-elle continuer malgré l'avertissement?

"Si tu veux."

Elle approche la lumière des crânes. En effet, ce ne sont pas des kapalas, ils ne sont pas là pour souhaiter la bienvenue aux étrangers...

Deux gros, un petit. Deux adultes, un enfant. Elle regarde Ajeya, soudain inquiète.

"C'est peut-être un avertissement...est-ce que tu veux continuer quand même?"

Ses yeux brillent, elle attend un oui. Car si on ne veut pas qu'elles approchent, c'est qu'il y a quelque chose à cacher...

"Je ne pense pas que ces crânes nous apprennent quelque chose. Continuons."

Elle lui prend la main et éclaire la suite de la grotte.



"Il y a un passage au fond..."

Et déjà, elle s'y engouffre, l'entrainant avec elle, courbée en deux. Au bout de quelques minutes, elle débouchent sur une première salle. Des gouttes tombent du plafond, glissant le long de petites stalactites. Le sol est plein de flaques, peu profondes. Et sur les murs, des filets d'eau et des algues, ou peut-être des champignons, donnent un reflet verdâtre à la pièce souterraine. Alors Amiya tend la torche à Ajeya.

"Est-ce que tu vois quelque chose? Sinon, je crois que ça continue à gauche..."

Elle sourit.

"Si, Jésus..."

Un regard autour d'elle.

"Des chrétiens sont sans doute passés par là. Ils ont peut-être laissé quelque chose? Je ne pense pas que ça soit lié aux crânes...peut-être que la grotte a déjà été explorée..."

Elle a l'air déçue... Alors elle fouille dans son sac, en tire un bout de bois qu'elle passe dans la flamme de la torche. Une fois noircit, elle le tend à Ajeya.

"Si on ne trouve rien, laissons au moins un message aux suivants!"

Pliée de rire, Amiya a du mal à se remettre. Pourvu que le dieu en question soit indulgent!

"Allez, on continue? Ou on rentre?"

Et puis, un peu timidement.

"J'aimerais bien continuer et ne pas rentrer les mains vides..."

Qui est l'enfant déjà?

Elle se fige. Que cherche-t-elle au juste? Un trésor? Des vivres? Des épices? Un remède miracle, plus efficace que le bisou magique?

"Je cherche une réponse, Ajeya."

Elle hésite et décide de lui parler comme à une adulte, comme elle parlerait à une amie, plus qu'à une petite fille, aussi mature soit-elle.

" Shankar ne veut plus être guru, il veut que je prenne sa place. Je cherche à savoir pourquoi c'est une bonne chose. Pourquoi je dois l'accepter. Parce que cette fois, je ne peux pas me contenter de lui obéir aveuglément, je ne peux pas dire oui par simple soumission. Je dois l'accepter par et pour moi-même. Et tu sais que je n'en ai ni l'envie, ni la capacité. Tu sais que jamais je ne serais cheffe, car je suis mère et épouse, car je suis conditionnée pour garder ma place de femme, inférieure à l'homme en toute circonstance. Pourtant, il faut bien un guide. Je cherche une raison de l'être, de me reformater..."

Elle baisse les yeux, attendant le conseil de celle qui sait être sage quand il le faut.

Des mots qui la laissent perplexe. Oui, pourquoi pas, l'idée n'est pas mauvaise mais...Shankar serait-il d'accord avec ça? Comment s'organiser alors? Peuvent-ils tous être égaux, un groupe peut-il fonctionner sans chef? Qui tranchera en cas de désaccord?

"Un guru est un professeur. Nous pouvons tous être guru, dans la définition simple du terme, tu as raison là dessus. Nous apporterions tous. Mais en cas de désaccord, il faudra toujours quelqu'un pour trancher, pour avoir le dernier mot."

"Un arbitre, un représentant, un sage. Plus qu'un guru. Quelqu'un que tout le monde respecte et écoute, car c'est ce qui a posé problème finalement. Personne n'écoutait personne. Les titres, les mots, c'est joli, mais c'est du vent. Il faut quelqu'un en qui chacun a une confiance absolue et qui puisse régler les différents. Quelqu'un qui a une autorité sur les autres mais qui n'en abuse pas."

"Moi, c'est Shankar que je suivrais quoi qu'il arrive. Et toi, qui écouterais-tu parmi nous?"

Elle oscille de la tête.

"Comment le convaincre d'être notre leader alors? Si je le lui demande, il dira non, il veut que ça soit moi. Mais toi, tu pourrais y arriver. Il faut que tu lui parles, que tu lui montres que c'est lui qu'on attend."

Elle regarde Ajeya, se fige un instant.

"Et si c'était toi, la plus neutre, celle qui a le plus de recul...qui tranchait?"

Elle sourit.

"Tu es plus qu'une enfant. Mais si tu ne veux pas de cette responsabilité, alors comme moi, il faudra la donner à quelqu'un d'autre. Il faudra convaincre Shankar, qui ne m'écoute jamais."

Et elle commence à faire quelques pas, s'enfonçant de plus en plus loin dans la grotte...en quête d'une révélation peut-être?

Elle secoue la tête.

"Il ne m'écoute pas. Je ne suis qu'une femme après tout."

De la lumière commence à apparaitre et au détour du tunnel, une sortie les attends. Une sortie d'un côté, de l'eau de l'autre.

"Zut. On ne peut pas continuer à pied..."

Un soupire. Pas de trésor aujourd'hui...ou alors, il faut y aller à la nage.