L55: Méditation à l'hôtel

Le Guru s'est surélevé entassant de façon informe coussins et tissus. Sur son trône moelleux, ses yeux ouverts et rouges fixent devant lui. De ses lèvres ramollies s'échappent parfois un faible fragment du mantra "Shivoham", parfois déformé en "Shivatom".
Sa stature assurée s'affaisse peu à peu comme une bougie allumée, et alors il se lève.
Parfois il se lève et fait de la musculation à même le sol.
Parfois il se lève et noircit une feuille d'inscriptions.
Parfois il se lève et va tout simplement dans la salle de bains toilettes.

Et régulièrement comme marquant les phases de la journée, un cône déjà pré-roulé se voit allumé et rejoindre ses lèvres.

A peine a t'elle franchi le paillasson de son fort intérieur que le Guru coasse, de sa voix cassée de silence et de fumée :

Oui... C'est ainsi que rien ne déborde.
Le...

...

Bienvenue, petite souris. Bienvenue...
Voyage en notre compagnie, et dis-moi ce que tu viens chercher.

Nous chérissons bien des choses, et toutes sont vouées à disparaître. Ô cruels Dieux. C'est pourquoi ils ont mis des trésors en nos coeurs, pour que jamais nous ne soyons pauvres.

Quelle pierre cache-tu en toi ?

Au ralentit, la main tremblotante, il tend un cône.

Bonne idée du Guru de proposer un peu de fumée pour ouvrir son esprit qui pour l'heure est encore un peu comprimé par ses propres inhibitions.
C'est donc sans surprise qu'elle ne répond pas tout de suite. Le temps qu'il faut pour explorer la salle aux trésor de son coeur. Et des trésors, elle n'en a jamais eu autant depuis que Ganesh a mis les Ohms sur sa route.

Puis, enfin, elle ouvre ses yeux sombres, rougis à force de se piquer à la fumée ambiante.

"Shri Shankar. Je peux te répondre à présent."

Et attend l'autorisation.

Le Diamant...


Le diamant, forgé au cœur des épreuves. Inaltérable.
Le cristal...

Obtenu dans les grandes températures, fragile mais tranchant...


L'obsidienne... L'obsidienne, oui...
Oui, réponds-moi.

Assurément, c'est de la bonne.

"Il existe plusieurs joyaux... "

"Ces joyaux se lovent, ou parfois se cognent les uns contre les autres, au gré de nos pas qui foulent le sable du Nouveau Monde."

"Mais d'aucun ne semble vouloir briser l'autre ou même en altérer l'éclat, la cohabitation y semble possible, et encore pour quelques années."

"S'y trouve l'amour de celle qui a su devenir ma soeur si naturellement. Il est doux et enveloppant, bienveillant, et même si je suis plus âgée, elle restera mon ainée. Elle a eu l'expérience de fonder un foyer, contrairement à moi. Je n'ai pas sa patience, ni sa sagesse. Alors, je l'écoute pour tempérer mes défauts..."

"Puisqu'elle est ma soeur, tu devrais devenir mon beau-frère... Et pourtant..."

"Et pourtant, je te ressens comme le grand frère que je n'ai jamais eu. C'est un peu comme si j'avais vécu à tes cotés depuis des années. Je respecte ta distance, tes silences ou tes colères, comme si je les avais connu avant même de savoir marcher. Quand je te vois Shri Shankar, je vois le fils que mon père aurait aimé avoir pour qu'il me protège mieux qu'un mari. L'amour que je ressens pour toi, est capable de tout te pardonner. Sans désir physique, il est fraternel dans sa plus pure essence."

"Mais je sais que comme une soeur aimante, je saurai te dire si sous mes yeux je te vois te détruire ou briser les autres autour de toi. Et maintenant que tu vas épouser Amiya, je sais que je n'aurais jamais à faire cela."

"Il existe dans mon coeur, un endroit secret, comme un jardin fermé à clef, dans lequel je garde un joyaux d'amour si merveilleux, si pur, si beau... Que je préfère le passer sous silence, de peur qu'un seul rayon de soleil puisse l'altérer... Cette pierre là, je ne veux pas t'en parler. J'en suis trop amoureuse..."

"L'amour que je porte à Ajeya et ses cobras est nourricier pour moi. Elle me donne des leçons de vie, alors que je lui assène des punitions espiègles. Ils font partie tous les trois d'un quotidien joyeux pour moi."

"Gina et Carry... Des femmes d'une immense douceur, vives et libres. Je m'inspire de leur courage pour grandir, devenir une femme à part entière, moi aussi. Nous avons tous besoin de ce courage, et de comprendre aussi leurs coutumes. L'amour qu'elles m'offre est aussi précieux que le votre."

"Isran. Je ne peux parler de lui. Je sens que ses intentions sont bonnes..."

"De même pour Goudha. Je ne fréquente que peu les hommes chez nous. Ou même d'ailleurs."

Et elle referme les yeux.

Son regard grave est fixé sur Lalita. Grave et concentré, même si l’œil gauche dit merde à celui de droite par moments.

Il met un temps fou à reprendre la parole.

Les Dieux... Lalita.
Quelle place...
... Pour les Dieux.

Dans ton cœur, pour le peuple, pour le monde.

Elle est surprise par la question de Shankar, mais aucun message nerveux ne semble activer les expressions de son visage, un peu trop inexpressif, ou fatigué par l'excès de fumette.

"Les Dieux... Les dieux, je ne demande qu'à les connaître mieux. Si je sais que Ganesh est celui qui m'a sauvée, tes visions de Shivatom... La Kali furieuse... Je ne demande qu'à t'écouter Guru, tu es le maître spirituel de notre groupe, montre moi la voie à suivre pour honnorer nos Dieux et je la suivrai."

Les paupières mi-closes, le sourire satisfait, c'est comme si il reprenait un fix.
Quand ses yeux se ferment totalement, sa voix claironne comme la conque dont il doit sans doute tirer son nom.

Hai ! Les dieux ne sont pas égaux dans nos cœurs ! Comme l'eau coulant sur une terre bosselée, les gens des rivières sont heureux, mais ceux des montagnes, qu'advient-il d'eux ?

Devons-nous les laisser à la montagne ? Ou trainons les sur le fleuve dans nos barques ?

Ah oui, ça c'est de la métaphore. Il semble espérer que son éclat de voix réveille ses congénères spirites. C'est souvent à la surprise dans les yeux que l'on devine la vraie nature de la personne à qui l'on parle, aussi, son regard scrute avec attention tantôt Amiya, tantôt Lalita pour voir quel effet déclenche cette réflexion. Si elle est comprise...

Amiya sursaute. Pourquoi parle-t-il si fort? Elle est à côté! Elle ouvre ses yeux rougis par la fumée.

"Parvati, fille des montagnes, y est restée jusqu'à ce que Shiva se décide à l'épouser. Si depuis, elle marche à ses côtés, elle y retourne souvent pour méditer. Tu peux trainer qui tu veux aux barques, mais ceux qui vivaient en hauteur ne trouvent leur essence que lorsqu'ils sont proches des cieux."

Voilà, débrouillez vous, l'indienne referme ses yeux...

Lalita écoute le silence à présent, et espère qu'un joint va bientôt tourner à nouveau. En attendant, un mal de crâne commence à lui vriller les nerfs optiques.

"Ceux des montagnes viendront sur les barques que s'ils le veulent. Inutile de les traîner contre leur gré... Ils sont de meilleurs hommes et femmes si ils restent heureux. De meilleurs amis aussi."

"Pourquoi pas leur offrir un petit tour de barque, mais pas davantage si le voyage n'a pas été une révélation pour eux."

Le Guru reste pensif et immobile un long moment. Comme une statue.

Puis il sort ses allumettes, mais ce n'est que pour remettre de l'encens.

Petite souris, tu caches tes secrets dans ton terrier comme tes graines en vue de l'hiver. Mais sache que le tigre, si il ne regarde que peu les êtres qui sont plus petits, ne les ignore pas pour autant. Du coin de l'oeil, le félin observe ce qui bouge. Et il a appris à considérer cette petite bête qui prend ce qu'il laisse sans jamais l'importuner, qui se manifeste quand il se trouve confronté aux problèmes que sa stature ne peut gérer, quand sa carcasse pourtant souple et énergique ne peut glisser entre les failles minuscules des rocs qui font obstacle.

J'ai besoin d'une réponse.

Les cieux changent, comme le monde dessous lui. Et si Shivatom est désormais connu par le peuple d'en bas, ce n'est pas le cas du 109ième prénom de Lord Ganesh.

Le connais-tu ?

Autre sujet semble t'il. Et qui dit autre sujet... Voilà qu'il sort son pochon d'herbes et le tend à sa promise.

"Non."

Et quand bien même elle l'aurait su un jour qu'elle l'aurait oublié.

"Je ne suis pas instruite Shri, ma spiritualité n'a pas dépassé le niveau de mes bracelets de chevilles. Si j'ai des secrets selon toi, ce n'est pas aussi vrai en réalité. La souris que je suis a eu une vie des plus banale, et ne s'en vante pas. Et si je ne fais pas de bruit, c'est que souvent lorsque tu parles, je ne sais pas quoi répondre ou débattre. Je n'ai pas rien à apporter au Guru, si ce n'est ma petite taille..."

Réponse semi-imagée bien entendu, puisque Lalita mesure un peu plus d'un mètre soixante-dix.

Shankar ne tire qu'une bouffée avant de le tendre à Lalita.

Je n'y crois pas. Chaque être est dans l'équité. Chaque chose aussi. Pas l'égalité. Tu n'es pas insignifiante, que tu le penses réellement ou non. Si tu le penses vraiment, Amiya et moi même compensons cela.

J'aurais... J'aurais préféré qu'il s'adresse à toi, ce Lord Ganesh du monde nouveau, et qu'il te dise...

...


...

La on dirait qu'il bug. Il ne réagit plus du tout, si ce n'est ses paupières qui vibrent à une vitesse folle.

"Son nouveau nom..."

Complète la femme rouge, ouvrant un oeil. C'est rare qu'il ne finisse pas ses phrases et ça lui fait bizarre. Ho, ses paupières bougent? Elle se lève et attrape un papier et un crayon qu'elle place dans les mains de son amant. Des fois qu'il aurait des visions et envie de dessiner...

Et s'il faisait un malaise?

...

Bah, elle lui fera du bouche à bouche.

Mais rien ne se produit. Jusqu'à ce que le Guru ne ferme puis n'ouvre ses yeux.

Je... Je suis mort ?
J'ai... Blessé ? Tout le monde va bien ?
Je crois... Qu'on a mangé mon corps...

Oula, la fumette... Ou bien ?

Le Guru sursaute et bascule du lit, se cognant lourdement la tête. Heureusement qu'il avait un turban.

Il se redresse, l'air vraiment flippé.

Un Pasteur, Maniactree, DonnieGris, Mary... J'ai tenté de les tuer. Ils m'ont mis en pièces. Un homme appelé Souichiro Nagi a mangé mon corps...

C'était il y a presque Vingt lunes, je le sais...

Maniactree... Je crois que c'était la soeur d'Orangina.

L'indienne cesse de rire. Ces noms...lui évoquent quelque chose. Maniactree, elle en est certaine, elle l'a déjà vu dans les souterrains. Il y a quoi...une vingtaine de lune? Son visage se décompose.

"Quel est ton nom?"

Lalita ne comprend rien de ce qui se dit entre Amiya et Shankar, mais ne s'en mêle pas.
Elle reste à sa place, toujours à maintenir au calme son intérieur cuir.

Enfin, elle sent la présence de Gina, et la regarde un instant, comme spectatrice lointaine de la scène. Puis elle lui fait signe d'entrer, et offre un de ses coussins pour qu'elle s'installe à ses cotés.

"Ici, tu peux parler librement Gina. Tu ne nous déranges pas... Au contraire, je suis heureuse que tu sois là."

Coucou Lalita, Gina murmure malgré tout tant l'ambiance invite à la relaxation et au silence et surtout elle ne veut pas que les autres entendent.

Je voulais parler avec toi de l'organisation de la fête surprise mais du coup c'est pas discret avec Ami et Shankar juste à côté.

Elle avait autre chose sur le coeur mais n'osait pas trop. Elle ne savait pas comment parler de ça avec Lalita mais sentait qu'elle pouvait se confier en toute confiance à son amie, elle ne la jugerait pas et serait de bon conseil.

Elle décida d'y aller franco

Je sais que tu n'es pas restée longtemps au bar tout à l'heure, mais que penses tu de Karl.

Ouf le plus dur était fait, lancer le sujet. Elle se demanda toutefois si elle ne devrait pas carrement sortir de la chambre des médiatants avec Lalita pour continuer la discussion ailleurs voire à un autre moment si Lali avait autre chose à dire à Amiya et Shankar.