L86: Vous avez trouvé: chien

Ils ont accosté à la nuit tombante. Alors que les hommes montent le camp, qu'Ajeya s'occupe de Manik et Tufan, ses deux compagnons au sang froid, Amiya est partie seule en pirogue. Pas de dispute cette fois, elle a juste besoin de refaire ses stocks de plantes. Alors qu'elle remplit tranquillement son sac, le Transvaal étant désert à cet endroit, elle aperçoit une drôle de forme.

La voilà qui s'approche avec prudence pour s'apercevoir que la caisse couine. Couine?

Elle ouvre le couvercle...

Et de grands yeux effrayés lui répondent, des poils en pagaille, une pauvre bête qui s'est coincé la patte dans une malle piégée. Il faudra quelques instant pour que l'indienne réagisse...

"Déesse du fleuve, tu es merveilleuse..."

Et au chien qui continue de pleurer.

"Ne bouge pas, je vais te dégager."

Elle s'exécute avec douceur, manipulant la patte blessée avec précaution. Pauvre bête, elle est si sale, si maigre...elle pourrait être la réincarnation d'un sadhu. Quand elle est dégagée, ni une ni deux, la boule de poil tente de s'échapper. Mais n'y arrive pas, et pour cause, à force de tirer sur sa patte, elle a dû sérieusement se blesser.

Alors Amiya le porte dans ses bras, lui parlant doucement.

"Viens, Ganga. Je vais m'occuper de toi."

Et elle repart, le chien dans ses bras. Lui ne se débat pas, peut-être parce qu'il ne se sent pas en danger, peut-être qu'il est bien dressé et qu'il n'attaque pas l'homme, peut-être qu'il est résigné à sa mort certaine. Quoi qu'il en soit, il se retrouve assis dans la pirogue, tant dis que la femme rouge examine le reste de la caisse. Un harmonica, voilà qui fera plaisir à au moins un des siens...

Bientôt, la pirogue reprend sa route, fend le fleuve en direction du camp. Bientôt, Amiya la traine sur terre, déversant un flot de paroles plus douces que les autres pour apaiser son nouvel ami, avant d'appeler:

"Piya! Aaja!"

Et lorsque son mari arrive, elle lui tend le nouvel instrument.

"J'ai trouvé ça pour toi..."

Elle n'a pas le temps de finir que le chien grogne déjà sur l'intru qui ose s'approcher de sa maitresse. Aurait-elle un nouveau jaloux sur les bras?

Quelques battements de cils...

"Je peux le garder?"

Shankar recule instantanément, surpris, ce qui engendre au chien une posture d'attaque réflexe. Mais passé le coup de la surprise, il plonge sa main dans une de ses pochettes et en dégaine... un bout de murghi tikka, qu'il rompt en deux et lance a moitié aux pattes du clébar. L'autre reste dans sa main, tendue et ouverte tandis qu'un rire nerveux le seccoue.

Hai ! Regarde le ! Il n'a pas mangé depuis des jours ! Heureusement que Shankar Singh garde des en-cas pour lui. Haha ! Un vrai guerrier ! Tu l'as touché ?

Sa main s'était presque rétractée quand il eut constaté la saleté du cabot. Mais croiser le regard de l'animal le fit aussitôt changer d'avis.
L'harmonica est comme sorti de son esprit.

Elle baisse les yeux, regarde ses propres mains...qui ne sont plus très propres. Pour une fois, ça ne la rend pas malade. Enfin, pour l'instant, elle se passera à la javel et au détergent plus tard.

"Oui, je l'ai porté jusqu'à la pirogue...il ne peut pas marcher, sa patte était coincée dans une caisse...je n'ai pas eu le coeur de le laisser derrière..."

Un regard vers le chien qui engloutit son morceau, soudainement plus joyeux. La pauvre bête tente de sortir du petit bateau, n'arrive pas à passer le simple rebord. Pleine de sympathie pour tout ce qui n'est pas humain, elle retourne le chercher, le porte malgré son poil terne et couvert de boue. De toute façon, c'est trop tard pour sauver ses habits.

Elle le garde dans ses bras le temps des présentations, il est lourd, mais c'est supportable tant qu'il ne se débat pas.

"Il s'appelle Ganga."

Et un véto pour le nom...

"Il faudrait lui mettre une attelle..."

Elle lève la tête vers son mari, qui se retrouve avec deux paires d'yeux implorantes. L'un a faim, l'autre veut qu'il se tape les préparatifs de l'opération délicate pendant qu'elle chouchoute le nouveau membre de la famille...

Son poulet roti... Curieusement, la compassion l'emporte chez Shankar, qui, après un subtil soupir, dit.

Je vais voir. Un bout de lance usée et une vieille courroie enroulée bien serrée devraient suffire. Surtout du repos. Il me reste un bout ou deux de tikka. Connais-tu les doses d'opiacées suffisantes pour un chien de... hmmm... huit kilos ?

Elle ouvre de grands yeux réprobateurs, comme s'il proposait de droguer un petit enfant.

"Des opiacés? Certainement pas! Je vais lui mettre une attelle, le laver et le porter jusqu'à ce qu'il puisse courir tout seul. Si on lui donne des stup, il va renifler tous les sacs et aboyer dès qu'il en trouvera. Tu imagines s'il éventre nos réserves? S'il fait une overdose? S'il se met à attaquer tous ceux qu'on croise pour avoir sa came?"

Comme elle s'emporte, l'animal s'agite et se tortille. Elle finit par le reposer au sol.

"Assis, Ganga."

Il ne s'exécute pas, plus intéressé par l'odeur de poulet, voilà qu'il tente d'atteindre la main prometteuse du guru.

"Donne lui à manger, je vais préparer son bain et fabriquer l'attelle!"

Elle se dirige vers le feu de camp, se retourne.

"Et rien d'illicite! Je le saurais!"

Il fait la moue.

Coupé dans le tikka, ça ne se sent pas. Il n'aurait que la sensation.
Et puis, si il nous en trouve d'avantage, je dis pas non...

Il tend le dernier bout de poulet au chien et se dirige vers ses affaires en vue de bricoler un peu.

"Moi, je dis non."

Elle montre ses yeux du bout des doigts, puis désigne son mari. Attention, elle surveille!

Et surtout, elle met de l'eau du fleuve à bouillir pour préparer un bain. De l'eau et des fleurs séchées, parce qu'un chien mouillé, ça sent pas la rose tout seul. Quand elle a terminé, elle revient chercher le chien et sors un des bandages qu'elle garde dans son sac pour le nouer autour de son cou, en collier de bonne fortune. Pas très résistant mais suffisant pour l'instant. Elle n'a qu'à le gratouiller pour qu'il reste près d'elle, le temps de remplir une bassine d'eau bouillante qu'elle coupe ensuite à l'eau froide.

Ganga est un peu comme elle, docile quand ça l'arrange. Et là, le bain, c'est pas comme manger, c'est pas super tentant. Alors la lutte commence, comment rentrer une boule de poil dans sa baignoire quand elle se débat pour ne super pas y aller? Pourtant, la température est bonne, Amiya y a plongé sa main pour vérifier.

"Tssst! Ganga!"

Pas moyen de le calmer, il en met partout autour et jappe même plaintivement.

"Tu dois te purifier si tu veux devenir un homme lors de ta prochaine réincarnation. Tssst!"

Heureusement qu'il est blessé, sinon elle aurait perdu depuis longtemps le combat. Mais là, elle s'acharne, frotte d'une main, le tiens par le collier-bandage de l'autre. Elle se fiche bien d'être couverte d'eau marronâtre, la propreté est l'essence même de l'existence. Selon elle, évidement.

Il faudra bien l'arrivée de Shankar pour mettre fin à la torture de la pauvre bête qui par chance ne mord pas...ou plutôt, n'y arrive pas, maintenu comme il l'est...

Le mari arrive, et passant une main sous la mâchoire, il lui relève la tête pour qu'il fixe ses yeux. Voilà qui devrait limiter le réflexe de morsure, voir, qui sait, hypnotiser la bestiole ?

L'autre main vient gratter sa tête, prenant le relais pour qu'Amiya puisse le laver avec ses deux mains.

Bien sûr, le cabot pleure. Des couinements déchirants et bruyants. Le genre qui donne envie de le relâcher tout de suite, raisonnant dans une empathie sourde propre à tous les mammifères.

Mais Shankar ne flanche pas. C'est pourquoi il a pris ce poste. Et il use de sa vieille technique de Kali baby sitter :
Les yeux écarquillés en grand, la langue tirée, il vient chercher un long "Om" relativement déformé :

Aaaahannnnnnnnnnnnnnnng....

Stupéfiant !

Il n'y a pas que le chien qui se fige pour le regarder bizarrement. Amiya aussi fixe son époux comme s'il était fou. Enfin, plus que d'habitude. Il lui faut quelques secondes pour comprendre qu'elle doit continuer sa besogne et la reprendre avec douceur, laissant Ganga se débrouiller avec l'autre mâle. Qui sait qui dominera entre eux après tout?

Alors qu'elle termine de décrocher des petites boules de...on ne veut pas savoir quoi...collées aux poils, elle se lève un instant pour tirer vers elle une couverture qui sert d'ordinaire à s'installer plus confortablement lors des repas. Sans geste brusque, elle la pose sur le dos du chien, les pans de chaque côté de la bassine.

"Attention...je l'attrape..."

Dès que Shankar relâche la pauvre bête qui n'avait rien demandé, elle le serre contre elle comme un bébé, laissant juste sa tête dépasser.

"Tu vois, c'était pas si terrible..."

Parle pour-toi, semble-t-il répondre dans un couinement...

Mission accomplie !
Pour l'instant.

Il faudra le tenir en laisse. Le ? J'ai pas vérifié...
Et lui enseigner très vite que je suis le chef. Et toi aussi. Ajoute t'il rapidement.

Quand ce sera inculqué, on pourra le promener sans jamais l'attacher. La laisse ne sert que parce que la loi l'impose parfois, et que le temps de l'apprentissage. Qui est parfois très long avec les mauvais maîtres.

Il ricane.

Mon oncle en élevait six. Dans la rue, ils marchaient derrière lui, sans jamais le dépasser. Ils restaient la ou il disait sans ennuyer quiconque, et revenaient à lui quand il le demandait.

Visiblement, Shankar a de grands projets pour le chien...

Amiya lève les sourcils et murmure à l'oreille du chien.

"Ganga, je vais t'expliquer. Lui, c'est le chef. Moi, je suis ta maitresse adorée et ta préférée. D'accord? Retiens ça, c'est lui qui va te dresser et te punir. Moi qui vais m'occuper de toi et t'emmener en balade."

Un sourire malin envers son mari.

"C'est un garçon."

Elle a les yeux brillants et les joues un peu roses...

Shankar ne se laisse pas démonter.

C'est moi qui te récompensera. Et elle qui te gâtera.

Profite d'elle, tu as besoin de repos.
Et d'une vraie laisse...

Regard appuyé vers son épouse.
Bah, de toutes façons, ils arriveront bien à faire d'autres lignes de pêche...

Au regard appuyé, elle répond par de nouveaux battements de cils.

"Je vais chercher mes liens, ils ne servent plus de toute façon."

Enfin, pour le moment. Elle dépose le paquet directement dans les bras de Shankar et disparait quelques instants dans la tente pour ramener sa laisse.

"Tiens le bien..."

Et voilà, le noeud est fait.

"L'attelle maintenant. Tu sais la mettre? Ou je m'en occupe?"

Il cherche le regard de la bête qui semble préférer reluquer ailleurs, la langue dégoutante de bave.

Hrm... Vas y. Je lui montre que sa vie est entre mes mains.

Un regard au ciel avant de poser Ganga.

"Tiens le bien."

Et d'examiner correctement la patte encore humide, de tester le point où il a mal en se guidant par ses jappements. Quand elle trouve l'origine du problème, un peu au dessus de l'articulation, elle place le bout de lance de façon à ce qu'il ne puisse plus bouger sa patte. Ni même la poser au sol, l'attelle est trop longue. A l'aide de corde, elle fixe l'objet.

"Chuut...On va te donner à manger..."

Et un regard vers Shankar qui donne des récompenses, pendant qu'elle le reprend contre elle, le confondant un peu avec une peluche.