L67 - A l'incinérateur de l'abattoir

T-shirt flottant sur sur sa fine stature, floqué Tendulkar, la légende du cricket, short en jean rapiécé court, sandales de bois, le drole d'insecte parcourt la plage, le regard à l'affut. Les indices restent maigres pour le moment. Empreinte de pas à trois et quatre doigts allant en venant autour du charnier, plumes de mouettes, une pince de crabe, débris et plastiques ramenés par la jetée, Mukunda échaffaude ses premières conclusions, lorsqu'il rejoint les deux agents de terrain et Tenebro. Le crane, posé sur un tronçon de bois, paille à la bouche, pique du nez sur son cocktail.


"Ils se sont peut être noyés. La mer les a ramenés ici."

Cadavres sans crime, la nature fait bien les choses. Un saut dans le charnier, il examine une tête arrachée et amochée, un trou gros comme le doigt traverse de part en part le front. Il y colle son oeil, la vision est floue avant de se matérialiser peu à peu sur un fond vert, comme s'il lisait dans ses dernières pensées. Il voit...un homme en gants jaunes l'observer...

"Mort par balles" conclue Mukunda.

Ajeya a mis ses pas dans ceux du sadhu sans que celui-ci ne s'y interresse vraiment. On voit un grand escogriffe suivi d'une fillette parcourir la plage.

Quand le sadhu saute dans le charnier, Ajeya l'observe. La première théorie impliquant uniquement l'eau de mer lui semble peu crédible.

Quand le sadhu invoque les balles, tout cela lui semble bien plus logique.

Une des plus courante. Ajoute-t-elle.

Lalita reste à l'écart, alors qu'elle ramène un ballot de feuillages sechés. Sale comme une charbonnière, elle se remémore la scène entrevue dans les souterrains, jouée par Mukunda, Ajeya et Ténébro. Elle en a des frissons, mais ne l'avoue pas. Bien que sa pâleur soudaine trahisse son manque d'aisance quand Mukunda entre dans le charnier.

"Je ne sais si nous devons prévenir Carrie de ce que nous avons trouvé. Peut être qu'elle n'y est pour rien dans ce massacre ? Plus j'y pense, et plus je me dis que c'est une impossible qu'une enfant puisse être l'auteure d'un tel massacre..."

Elle regarde d'un oeil tout de même les trésors récoltés par Vasco, avant leur arrivée.

"Shankar et Amiya ne devront pas savoir, il ne faut pas que la présence des morts les perturbe dans l'expression de leur amour... La perte de Carry a déjà suffisamment affecté Amiya."

"Je propose que les rites funéraires soient le plus rapidement possible exécutés pour éviter que les âmes de ces malheureux ne perturbent les nuits des deux époux."

"Une petite fille avec un fusil à pompe, oui ca doit pouvoir causer un trou pareil.
S'ils étaient persuadés d'avoir une bonne raison, un enfant n'hésiterait pas à tuer, je pense même qu'ils se poserait moins de question, s'il pense agir pour la bonne cause.
Et la coincidence me parait trop grande si la gamine de l'Ascension a mentionné le site.
Du travail de pro en tout cas... "

La tête est expédiée avec nonchalance vers Ajeya pour admirer le travail. A coté du charnier, deux arbres se font face, on pourrait croire qu'une partie de beach volley va s'engager.

"Nous pouvons faire une cérémonie en leur honneur,  mais il nous faut absolument leurs noms. Sans leur nom, nous ne pourrons pas intercéder vers les Dieux.
S'ils devaient rester anonymes, on pourrait bruler leur corps et offrir un diyâ au fleuve pour chacun d'entre eux, afin de guider leur ame, Mère Ganga prendra soin d'eau."
Y a combien de corps d'ailleurs, ils sont tous en charpie. Le plus sur serait de compter les têtes.... Sept. Huit ? "

Sans dégout apparent, il repousse les corps, commence à tapisser le fond du charnier de branchages pour démarrer le feu. Par dessus, il conviendra de recouvrir de branches et troncs plus épais pour entretenir le brasier. On dira qu'il a fait ça toute sa vie.

A voix basse près du charnier, alors qu'ils installent les derniers élément pour le brasier.

"Ajeya est une enfant particulière. elle est en réalité la doyenne, son ame à la fin du cycle, au mohska. C'est plus trop l'heure de jouer à la poupée.
Et elle porte une lourde responsabilité. C'est elle qui assurera la transition et le relais avec la nouvelle génération... "

Autrement dit, c'est elle qui guidera la nombreuse portée du Guru.

"Non l'ame et l'enveloppe charnelle sont dissociées. La ou réside l'ame reste un mystère pour notre entendement, elle vogue dans l'éther et circule dans tout le corps. La preuve, les esprits puissants parviennent à s'extirper de leur enveloppe et s'observer comme si c'était un corps étranger. Il ne resterait qu'un squelette sans chair, l'ame y résiderait encore.

Si nous n'avons pas tous les noms, il nous faut préparer les diyâ. Des coupoles creusées dans des noix de coco, nous y déposerons une bougie et un objet pour les relacher dans le fleuve. Et Mère Ganga guidera leurs ames, unies, vers le royaume des morts.

Voyons déja quels noms on peut retrouver, pour les anonymes, nous imaginerons un objet qui leur est cher."

"Moi qui avais recruté une Nanny pour le Club des Kids...
C'est un Club de Seniors qu'il nous manque !"

Il fait une drôle de moue, avant de sourire immédiatement et de passer à autre chose.

"Les objets, les objets...
C'est que j'ai tout mélangé moi..."

Il gratte sa barbe naissante, réfléchissant devant les affaires qu'il avait lui-même vandalisé...

"Si seulement les Dieux avaient le sens de l'humour noir...
J'aurais tout mis en vrac..."

Il se retient de sourire sous les regards inquisiteurs et passe très vite à la suite, fouillant un sac préparé pour l'occasion, à proximité

"J'ai déjà ici trois passeports.
Un sud-africain au nom de Lily Wespen Nest...
Un allemand au nom de Wolfgang Gottlieb..."

Il passe les papiers au fur et à mesure au Sadhu, les photo d'identités pourront peut-être l'aider à s'imprégner de leurs anciennes personnalités.

"Et un français totalement cramé...
Attendez...

Isobel...
Nan, Isabelle...
C'est vraiment illisible...

Tenez...
Vous avez peut-être de meilleurs yeux, vous..."

Il sort enfin un petit cahier d'écolier, ondulé par l'humidité.

"J'ai aussi retrouvé une sorte de...
Carnet de comptabilité, si on peut encore appeler ça comme ça...
Mais je n'y vois que des surnoms, des sobriquets, et encore sûrement raccourcis...
Doc, Toc, Iso, Shib..."

Il feuillette alors rapidement le cahier et en sort un drôle de pliage...

"Voilà qui devient intéressant..."

Spoiler:

Ricky venait d'arriver. Il avait rejoins le petit groupe. Bien que maquillé, il n'avait pas revêtu son ensemble provocant. Il avait enfilé un vieux survêtement couleur fuchsia.

"Beh alors c'est pas encore fini? Enterré quelques corps en décomposition, ça ne demande pas trois jours!!"

Ricky, bien que s'étant permis d'arriver après les autres, paraissait contrarié.

" Allez, allez! On s'y met! Vasco, au lieu de lire quelques carnets intimes, creuse huit trous, de taille respectable..
Mukuda, euh makonga, oh et puis zut, peu importe, ferme leurs les yeux. Lilouta, chère lilouta, ramène nous des drapas.
Non en fait oublie les draps, faisont simple. On ne connait rien de ces gaillards, ni leurs origine, ni leurs volontés.

Allez on s'active!!!" Et Ricky tapa dans ses mains pour motiver les troupes

Lalita se réveille de ses rêveries alors que les noms des morts sont prononcés dans le désordre. Puis, la voix de Ricky la fait sursauter.
Elle finit par lui attraper le bras alors qu'il tape dans ses mains, et l'emmène un peu à l'écart.

"Tssss.... Ricky... Détends toi. Ils ne sont plus à quelques heures près, et nous avons prévu de les envoyer vers leur prochaine incarnation avec un minimum de dignité..."

"Approche... Tu connais déjà Ajeya, n'est-ce pas, l'enfant charmeuse de serpents... Et puis Mukunda, notre Grand Sorcier... Il connait l'astrologie aussi, il saura te faire un thème astral digne d'une star Bollywoodienne... "

"Et moi, c'est Lalita... Je te l'accorde, nos noms ne sont pas faciles... "

"En attendant, j'aimerai beaucoup que tu m'aides à vider des noix de coco... Oui, c'est pour le rituel funéraire... Nous allons les brûler et non les enterrer, pour que leurs âmes s'élèvent et continuent leur chemin vers le cycle des réincarnations..."

"Tu verras, ce sera très beau..."

Ricky se laissa entrainé par lalita.
"Va pour être compliqué, vos noms le sont assurément."

Puis il pris un air plus sérieux. Bien qu'avec son maquillage, il pouvait être difficile à prendre au sérieux.

"Pourquoi leurs faire une cérémonie à l'Indienne? Cela va peut être à l'encontre de leurs convictions ou de leurs traditions. Cela pourrait peut-être même les éloigné de Dieu, ou des dieux.

Enterrons les, vite, et laissons les âmes de chacun trouver leur chemin."

Ricky regarda les morts. Ou du moins, ce qu'il en reste. Restait il encore une âme de toute façon?

"Dis moi, quels seraient les conséquences si tu étais enterrée sans que l'on respecte tes traditions? Si tu étais inhumée à l'occidentale?"

Ricky lança un regard interogatif a lalita. Qu'allait elle lui répondre?

Mais de quoi se mêle la gosse? Et que fait elle ici? Ces indiens vraiment... Des gens hors du commun!

" La crémation serait catastrophique pour leurs âmes.
Et va voir la bas s'il n'y a pas un poupon joufflue ou une dinette pour aller jouer avec. Laisse donc les adultes s'occuper des affaires d'adultes!"

Il examine les papiers d'identité, compare avec les cadavres.

"Lily wespen, c'est la rouquine pale. Gotlieb c'est la gueule de mutant là, je crois qu'il était déja bien arrangé avant la tuerie.  Isobel, Iso ca doit être son surnom. C'est la tête que tu tiens Ajeya. Ca avance notre affaire. On glissera les portefeuilles dans les diyas, "

Il relit le carnet, déchiffre à son tour l'écriture délavée.

"Doc, c'est facile. Le gros au visage sérieux, il doit bien avoir un objet de docteur, ild evait être fier de sa profession pour etre surnommé ainsi. Shib, c'est surement un jap'un appariel photo, un gri-gri électronique ca fera l'affaire. Toc, je vous laisse à votre imagination. Quelqu'un de félé ou excentrique surement.
Pour les deux anonymes.... On pourrait y glisser des masques, si vous en avez en rabe. Les Dieux ont leur humour, ce sont de grands enfants...

L'arrivée de l'homme maquillé chamboule un instant les plans, il assiste à la passe d'armes entre le nouveau venu et les filles. Il ne répondrait pas mieux que l'enfant.

"Je serais un plus contrarié si on devait m'enterrer à l'occidentale que si on écorchait mon nom. Même si dans le premier cas ca serait par ignorance, et dans le second un manque de respect, ou les deux à la fois.
Mais aide nous plutot à imaginer à quoi pouvait bien ressemble un dénommé Toc et ce qu'il ou elle aurait aimé emporter avec lui dans son bucher."

Lalita sourit en levant les mains d'un air impuissant. La star est un peu malmenée mais elle le vaut bien. Puis reprenant un air bienveillant.

"Bienvenue chez nous Ricky. Ne sois pas contre la nouveauté... Reste avec nous, assiste à la cérémonie... Cela t'inspirera peut être un tout nouveau numéro."

Tout en cherchant parmi les affaires des morts un objet électronique comme suggéré par le Sadhu.

"De toutes façons, si nous faisions un vote à main levée pour ou contre la crémation, on aurait la majorité... "

"Et je ne serai pas fâchée qu'on m'enterre comme chez les Chrétiens par exemple... Au moins, quelqu'un aura pris soin de m'offrir un peu de son temps, une dernière fois, même si cela fera de mon âme un Bhûta..."

Puis se tournant vers Mukunda, puis vers Ajeya.

"Croyez-vous que se faire manger est mieux que la putréfaction ? Le problème est que les ossements restent... Ils ne se décomposent jamais..."

"Sans cérémonie, les ames continueront ne connaitront pas de repos, à errer sans guide sur la terre, en bhutas et goules  qui viennent habiter nos reves. Je crois qu'il vaut mieux encore une cérémonie impie que l'oubli."

Il regrette d'avoir répondu et effrayé peut être Lalita. Il enchaine en souriant aux propositions du comédien.

"Ah ah des castagnettes. Ca doit être ca, Toc la danseuse andalou... Je vais lui offrir mes tongs en bois, elle saura charmer Yuma en arrivant au royaume des morts.
J'espère jusque que les sandales feront pas couler le diya... Ou mettre qu'une sandale. On peut faire des castagnettes avec un seul pied ?"

Les rituels sont à la merci d'une quantité de détails, insignifiants aux yeux des profanes, mais qui peuvent faire tourner une cérémonie au fiasco. Le vent qui souffle dans le mauvais sens, la pluie, une mauvais bois,...

" Allez on s'y met. Tous. Préparer et évider les noix de coco, plantez y une bougie. Une fois à l'eau avec leur objet fétiche, j'allumerais le bucher et libérerais leurs ames."

Ricky regarda Vasco travailler. Il n'avait pas l'intention de participer aux préparatifs. Il venait juste de se faire les ongles...

"Tu appelles ça un masque? Andy Warhol en son temps aurait fait mieux...
Et sinon, vous les indiens, vous êtes passés maîtres dans l'art de la momification, n'est ce pas? Je me ferait bien un pantin pour mon prochain spectacle . J'ai besoin d'un Pinocchio"

Ricky s'agitait. Il se voyait comme un Gepetto hypersexué animant son pantin.

"L'on valserait, l'on danserait, collé-serré. Il reviendrait, d'une certaine manière à la vie, grâce à mon talent!"

Ricky dansait maintenant. Il mimait une valse, avec un partenaire imaginaire. Une danse à trois temps.

"Ce serait mon 1er numéro du Freak Circus. BobbyToc deadly boy. Ce sera son nom!"

Puis regardant mukunda" Vous pouvez me le préparer pour quand? Plus tôt ce sera fini, plus vite je pourrai me lancer dans les répétitions."

Mukunda relache le diya lesté de sa sandale de bois. La noix de coco prend un peu d'eau, flotte tant bien que mal et s'éloigne à grand peine de la rive. A cotés les diyas de Brigani sont des avions et s'envolent avec leurs voiles en papier. Il y a urgence à finir la cérémonie et garder les ames unies.

"Vous avez fini vos diyas ? Relachez les vite à l'eau"

"Mère Ganga,  qui d'autre que toi pour guider ces ames perdues et étrangères, nous te le confions car toi seule, dans ta grande générosité, toi seule peux purifier les ames des firengis, comme tu purifies celles des lépreux, des victimes du cobra et des femmes enceintes. Garde les unies, la mort n'a pas voulu les séparer, pour les guider jusqu'à Yuma pour leur renaissance.

Viennent à toi, Lili Wespen la femme soleil, Gotlieb l'homme goule, Toc la danseuse unijambiste, Doc le gros médecin, le fantome de l'opéra et le venguer masqué....
Ah j'ai oublié le nom du jap'... Et isa ou Iso...

Si vous voulez dire un petit mot pour eux..."

Et alors que s'élèvent le bucher sur la plage, il demande à l'artiste.

"Un pantin ? Tu voudrais qu'on te fabrique un pantin de bois ?
Je peux essayer de le sculpter... les filles le peindre..."