L69 - Divine Odyssée

Un groupe de quatre nouveaux arrivants avaient rejoint le campement situé sur le rivage. Ils avaient été en contact radio avec la jeune Lalita, puis avaient été accompagnés par le sage Gras-double sur la fin du trajet, particulièrement pour la traversée des cols montagneux qui surplombaient la baie et l'immense fleuve sur lequel elle s'ouvrait.

Ils arrivèrent en fil indienne, suivant leur éclaireur, mais aussi leur guide. Tous vêtus de vêtements qui montraient les épreuves traversées, couverts de poussière et dégoulinant de sueur, il n'en avaient pas moins le pas assuré en approchant.

Prenant un instant à l'entrée du camp, un barbu qui faisait partie du groupe joignit les mains et murmura quelques palabres à un endroit où des reliques d'humains faisandaient encore sur le sable brûlant.

Puis ils entrèrent dans l'allée principale, un large passage entre quelques tentes. Observés par quelques habitants, ils inclinèrent respectueusement la tête à l'attention de chacun. Celui qui semblait être le meneur de la petite troupe, et qui se faisait appeler Jésus, prit précautionneusement la parole :

"Merci infiniment à vous d'accueillir notre humble compagnie. Je me nome Jésus.

La voix de Lalita et les indication de Gras-double nous ont mené à vous, loué soient-t-ils tout les deux.

Je me dois pour commencer de féliciter chaleureusement les époux du récent mariage, bénie soit cette union par la grâce de Dieu.

Je n'ai guère de présent à offrir, ce n'est pas très élégant mais vous nous pardonnerez vu les circonstances.

C'est quand même pas la fin du monde tout les jours.

Bref... en attendant, nous sommes prêts à travailler pour mériter notre écuelle, et n'avons pour seule requête qu'un peu de paille pour notre repos et le calme apaisant requis par la prière.

Mes disciples et moi même nous engageons à une bienveillance mutuelle tant que nous serons en ces lieux et en ces temps."

Lalita les avait vu venir de loin, et avait couru à leur rencontre malgré la chaleur. Un salut respectueux pour chacun, les mains jointes devant son plexus coupant en deux son sourire rassuré.

Pour le généreux Janum, elle s'était baissée jusqu'à s'agenouiller et lui toucher du bout des doigts son pied.

"Le Mojo Motel n'est plus très loin", avait-elle précisé. Ils étaient tous épuisés certainement, et elle s'était bien gardée de les assaillir de mots.

La plage est bien montée de tentes colorées, faites de divers matériaux de récupération. Mais en plus, il y a cette maison de bois, rafistolée de toutes parts, qui se veut être le point central du rassemblement.
L'eau est claire tout comme le ciel, le sable blanc est tourmenté de flots aussi mais ceux-ci sont immobiles.

Les braises d'un foyer entouré de pierre désignent l'endroit des repas.

Et lorsque Jésus se présente à tous, Lalita se recule derrière le groupe des nouveaux arrivés.

Se réjouissant à l'avance de la fête de ce soir.

Le Guru reçoit les nouveaux avec son habituel large sourire, bienveillant et authentique pour certains, commercial et forcé pour d'autres, sûrement, tant il doit sembler irréel dans ce contexte. Sous son turban, un Bindi rouge frais sur le front, le pouce encore luisant, prêt à offrir à son tour l'hospitalité à chacun.

Il avait insisté pour recevoir les visiteurs avec son épouse à sa gauche et le maître des lieux à sa droite. Somme toute logique, puisqu'ils assuraient la défense de l'ouvrage passionnément assemblé par la mascarade.

Namaskar, Sahib, Jesus. Sur toi et les tiens.

Voici Srimati Amiya Amilhthini Singh, l'épouse de Shri Shankar Singh, Guru des nouvelles Vedas Shivaïstes. Tes félicitations sont un cadeau. Et votre venue aussi.

Il laisse Vasco se présenter.
Il joint les mains à son tour sous le menton et incline la tête avant de toucher à son tour les pieds de Jésus et d'aller chercher son Janum.

Alors mon gros, des trouvailles ?

Le divin barbu affichait un sourire ébahit, limite niais même, devant de telles démonstrations de bienvenue. Le collier de fleurs se mariait particulièrement bien avec l'ensemble fleurit, même décoloré par les intempéries, qui recouvrait l’énergumène. On aurait cru qu'il s'apprêtait à entonner un "papayou, papayou, papayou, papayou lélé" au rythme endiablé. Au lieu de cela, au moment où le jeune époux s'agenouillait à ses pieds, il fit de même, inclinant la tête jusqu'à ce que son front effleure le sable de la plage.*

"Que la paix et la miséricorde du seigneur vous accompagne, amis."

Peu auparavant, il avait pris un moment pour s'adresser à la jeune fille dont la voix l'avait accompagné ces dernières lunes.

"Jeune Lalita, te rencontrer enfin est le plus bel instant que j'ai vécu. Ta force et ton aura ne peuvent tenir que de la divine volonté. Jamais je ne saurais te rendre ce que tu m'as donné. Sois bénie entre toutes les femmes. Nous discuterons encore, jeune Lalita, et l'histoire s'écrira ainsi qu'elle sera advenue."

A l"homme au genre "pincé", il sourit chaleureusement, prenant chaque épaule de l'homme dans chacune de ses mains fermes et le secouant presque.

"Encore un irlandais !

Mais bon-dieu... ça pousse comme de la mauvaise herbe !

L'avantage avec les irlandais, les vrais, c'est qu'il y a pas plus catholique.

Pas d'doute que tu d'vrait t’entendre avec saint Robby, c'est un sacré "dubliner" !

Le Guru semble toutefois noter la disparition de son épouse.

Il encadre le bon Gras Double aux épaules et le dirige chaleureusement à la suite de sa femme avant de revenir vers celui qui semble être le chef des invités et son duo d'accueil.

Un sourire satisfait à Vasco. Un sourire à Lalita. Un autre à Jésus.

Les gens disent que tu es le fils de Dieu, sahib. J'ai des questions pour toi. Vasc... O'Robber ? Avez-vous un salon pour les réceptions d'affaires ? Être en vacances avec un investisseur occidental, c'est la mort du repos, hai !

Prenant un air distrait à la question du Guru :

"Bien sûr, bien sûr... nous parlerons de tout cela autour d'une bonne chopine... à l'occasion.

En attendant nous allons profiter du rivage du grand fleuve pour nos ablutions.

Puis comme ça on sentira un peu moins mauvais. Nous ne voudrions pas vous incommoder pendant la durée de notre visite.

J'espère que nous aurons le temps de faire plus ample connaissance avec chaque âme de cet endroit magnifique."

Puis s'adressant à nouveau à O'Robber:

"Vous faites la location de transat pour la plage ?"

"Mais ne serait ce pas le sosie de l'imposteur? Bienvenue Jesus, bienvenu! Sais tu que tu as le même prénom que mon ancien concierge portugais?"

Ricky bouscula l'autre imposteur, irlandais auto proclamé, et passa devant le gourou. Il s'arrêta à son niveau, et d'une voix douce lui murmura:

"Fils de Dieu, ne voyez vous pas la que ces deux mots ne peuvent pas aller ensemble?"

Et lui faisant un clin d'oeil, il continua d'avancer vers Jesus.

Il avait fière allure, était comme à son habitude sur de lui.

"Comment va tu depuis la dernière fois dans les égouts? Tu mène ta petite confrérie de saint hommes alors?"

Il s'approcha du messie autoproclamé. "Alors, que t'es il arrivé depuis la dernière fois? As tu rencontré des lieux intéressants? Ou le cirque et le spectacle seraient accueillis comme il se doit?"

Le Guru réfléchit un instant, avisant l'hôtel.

De simples nattes, ou des chaises, des hamacs. Quelque chose de détendu, proche de l'eau, à la lumière du jour. Prévoyez des bougies. Et une fois le service prêt, passez un coup de fil à mon collaborateur italien, Mr Briganti, qu'il rejoigne notre G3. Je le défraierai.

Puis, il hoche la tête et s'incline. Se plonger dans le fleuve, bon, ça ferait presque hindou ça.

Le divin barbu répondit d'abord au Guru, la religion se plaçant avant l'art dans son schéma mental complexe :

"Encore merci, Shankar, béni sois tu et bénis soient ta famille et ta tribu."

Puis à l'homme de spectacle, le barbu répondit en gardant une attitude imperturbable, christique :

"Ah je me souviens de toi désormais... Il me semblait bien que cette silhouette élancée m'était familière... tu voulais monter ta troupe et n'as pas souhaité rejoindre la notre. Je n'ai pas particulièrement cherché à t'en convaincre, c'est vrai.

C'était hier mais c'était il y à longtemps. Nous sommes sortis des catacombes dans le désert aux alentours de Vertigo où nous avons fait étape et propagé la bonne parole. Alléluia !

Alors que nous quittions la ville, le Seigneur à mis sur notre route la plus belle indication divine qui soit, une étoile du berger resplendissante.

Finalement, vois tu, les vies d'artiste et de prêcheur ont bien des points communs : nomadisme, rencontres, cultes et cultures... vous avez fait un art de l'imposture, et nous avons fait de l'imposture un art.

Vous n'êtes donc pas si différent de nous, et pourtant nous sommes tous si différents.

Et cela est bien et bon.

Bénis sois tu, clown facétieux."

Jésus joignit les paumes de ses mains à l'avant de son torse et s'inclina en avant, mais moins tout de même qu'il ne s'était incliné pour le Guru ou Lalita.