L65 - Chiffons du Passé

Les étoiles contemplent le Nouveau Monde depuis quelques heures.

Dans la tente des femmes, ne restent que Ajeya et Lalita. Et puis, bien sûr, les Cobras enroulés dans leur boite. Carry n'est plus depuis quelques nuits déjà. Leurs respirations sont paisibles, sûrement comme leurs rêves. Une douce rumeur pénètre par un accroc de la tente, ce sont des rires d'enfant et des cris tout aussi joyeux. Cette brise mélodieuse caresse la joue de Ajeya, et s'engouffre dans son oreille pour la réveiller, toute fière de sa farce.

Dehors, un buisson tout sec craque, appelle, fait siffler la brise pour accompagner les cris de l'enfant. Et puisque maintenant le polisson chante alors que tout le monde dort, c'est vers le grand arbre mort qui sert à sécher le linge des deux tribus qu'il se dirige...

Depuis la mort de Carry, la veuve avait rapproché un peu plus chaque soir sa natte de celle d'Ajeya pour mieux veiller son sommeil. Même si parfois Lalita s'écartait du camp pour suivre les enseignements du Sadhu, elle ne manquait pas de revenir au petit jour pour la voir s'éveiller et constater à son sourire d'enfant que le mal de Carry ne l'avait pas atteint.





Lalita dort encore, et ressent soudain l'absence de l'enfant. Elle ouvre ses yeux cherchant à retrouver l'usage de sa vue rapidement.
Et trouver sa couverture vide à cet instant suffit à la faire paniquer.
Mais très vite la tente s'ouvre sur l'enfant, les mains chargées de ses nouveaux jouets.
Refoulant vite au fond d'elle son angoisse, sa tête ébouriffée lui sourit.

"Qu'est-ce que tu as trouvé ?" chuchote-elle en s'asseyant en tailleur.

Lalita a l'air sincèrement surprise. Une drôle d'heure pour jouer aux devinettes...
Mais elle se laisse prendre au jeu. Elle cherche ce qui pourrait lui valoir ce réveil.

"Une femelle pour tes Cobras...?"

"... Du liquide allume-feu ?"

"Des nouveaux sous-vêtements pour toute la tribu ?"

"... Non, je sais ! Un paquet de bonbons...?"

Puis ne laissant pas vraiment l'enfant répondre.

".. Bon, je vais essayer d'y mettre un peu de méthode... Est-ce que ça se mange...?"

"Tu... Tu as retrouvé un objet que tu avais perdu ? Et bien montre-moi !"

Lalita malgré son manque ses yeux encore peu réveillés note le regard brillant de l'enfant. Elle lui tend une main impatiente, pour l'encourager à dévoiler ce drôle de secret.

"Si c'est bien lui, alors, il a du être impressionné par ton talent de charmeuse de serpent ! Il n'offrait son don qu'à ceux qu'il jugeait suffisamment méritant... A moins que tu n'aies d'autres talents... Tu t'es entraîné à la magie depuis notre départ de Vertigo...?"

Lalita pose ses mains sur sa bouche en voyant la poupée trouvée par Ajeya, comme on retient un cri d'effroi. Des larmes montent dans ses yeux, une sorte d'émotion entre peur et vive curiosité.
La surprise passée, elle pose son voile noir sur ses épaules rapidement et se lève pour sortir de la tente.

"Montre-moi où tu l'as trouvée, s'il te plait... Peut être qu'elle est... ensorcelée... Nous devrions la montrer à Mukunda et Tenebro... "

Elle fouille un repli de sa jupe de la main, et reprend.

"J'ai quelques offrandes pour lui... "

Puis, elle stoppe net et se tourne vers Ajeya tenant sa poupée nouvellement adoptée. Les yeux dans les yeux, elle lui demande tout bas.

"Qu'en penses-tu ...? Ne crois-tu pas que nous devrions vérifier si cette poupée est bonne ou mauvaise avant que tu ne la gardes...? J'imagine qu'elle te plait vraiment... Mais si elle est passée par l'âme prisonnière du magicien... Nous pourrions lui confectionner une anulette à elle aussi... Ou à toi... Si nécessaire... Tu n'auras pas à t'en séparer."

L'âme plus sage d'Ajeya parle à celle trop enfantine de Lalita.

"Je te respecte beaucoup Ajeya... Pour ce que tu es, pour ce que tu sais... Je ne veux te mentir... Je crois vraiment en la magie, aux esprits qui nous entourent... Aux démons, comme aux Dieux... "

"Peut être que pour toi, cette poupée a été confectionnée et déposée pour toi, par un des membres des Om ou des Masques."

"Peut être qu'elle a bien été portée par le magicien, qu'il maîtrise les vents de sables... Après tout, dans ce monde, il ne semble plus y avoir de Noël pour les enfants, mais il peut rester un peu de magie résiduelle pour rendre heureux... "

"Ce qui est important, c'est l'amour qui t'est envoyé à travers cet objet, non ?... Qu'il vienne d'un fantôme malheureux ou d'une âme dans un corps vivant... Ça n'a que peu d'importance... "

"Quelqu'un, quelque part... T'aime profondément... "

Elle lui sourit, tendrement complice, et ouvre ses bras pour accueillir l'enfant et sa poupée. Il faut espérer qu'elle entre dans la voiture de Barbie maintenant.